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plus grande quantité ? » Les dirigeants de l’Ukraine nous auraient très bien vus cherchant à orienter les pourparlers de paix qui allaient être infailliblement signés.

La tentative était donc vouée à l’insuccès : du moins nous servit-elle à nous démontrer l’attachement qu’avaient les officiers russes pour la France ; car ils cherchaient, par tous les moyens, à nous faire oublier tout ce que leur malheureux pays étalait d’horreurs propres à nous détacher de lui à tout jamais. Non seulement ils s’en excusaient en paroles, mais leur attitude prouvait éloquemment combien ils en souffraient. Lorsqu’ils nous rencontraient dans la rue ou venaient voir nos chefs au bureau de notre mission, c’était toujours pour demander qu’on leur permît de s’engager dans l’armée française.

Les fêtes de Noël et du Nouvel An se passèrent dans un calme relatif. Bien entendu, il n’était plus question de guerre ; l’armistice, suivi des pourparlers de Brest-Litowsk, menait infailliblement à la paix. Un seul nuage à l’horizon pour les Empires centraux, et c’était ce regroupement de l’Ukraine. Ils avaient beau être fixés sur les sentiments des Ukrainiens, tous favorables à la cessation des hostilités ; il suffisait qu’il y eût à Kiew une armée et qu’il s’y trouvât plusieurs milliers d’officiers : c’en était assez pour leur faire redouter la possibilité d’un mouvement nationaliste. Ils ne voulaient donc pas s’engager plus avant, tant que ce foyer n’aurait pas été complètement éteint. Ils ne pouvaient songer à envoyer des troupes, ce qui aurait pu tout gâter. Un moyen, qui ne devait coûter que du papier russe, s’offrait : le « bolchevisme. » On va voir comment ils surent s’en servir.

Presque toutes les grandes villes, presque tous les grands centres s’étaient ralliés à la doctrine des bolcheviks, qui était une doctrine simpliste, consistant à piller, voler ou assassiner les bourgeois. Seule, Kiew avait résisté à leurs menées. Une campagne s’organisa donc, ayant pour centre Poltava. Sous le commandement du colonel Mouraview, — que l’ancien régime avait connu colonel de gendarmerie à Petrograd, — un groupement d’environ trois mille hommes fut constitué. Pour l’enrôlement on ne s’embarrassait d’aucunes formalités. Le salaire était fixé d’après la tête de l’individu : une figure de mauviette n’obtenait que 15 roubles par jour, tandis qu’une franche trogne de brigand en ramassait le double. Comme