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d’être signé, nous risquions vingt fois d’être faits prisonniers, ou même d’être livrés aux Allemands. Je reçus enfin l’ordre de me rendre à Loubny, petite ville sise à 150 verstes à l’Est de Kiew : on espérait que nous nous y trouverions un peu plus en sécurité. Loubny est en Ukraine, et nous étions en train de chercher à nous attacher ce groupement qui semblait offrir certaines garanties.


EN UKRAINE

L’Ukraine, communément appelée Petite-Russie, réclamait son autonomie ; elle prétendait, quoiqu’on l’absence de toutes frontières naturelles, n’avoir aucune raison d’être rattachée à la Russie du Nord. Ni par les mœurs, ni par les coutumes, elle ne se distingue des autres régions ; c’est tout au plus si une plus grande élégance de costume la fait reconnaître : somme toute, elle est à la Grande-Russie ce que la Bretagne est à la France. Au point de vue économique seulement, la différence est sensible ; car, à part la Sibérie, non encore suffisamment exploitée, c’est de beaucoup le pays le plus riche de cet immense empire, et sa dénomination de « grenier de la Russie » est de tous points exacte. Les habitants en sont aussi un peu plus cultivés et d’une mentalité légèrement supérieure.

Donc, à Kiew, après une bataille de rues, s’était constituée une Rada, ou gouvernement de l’Ukraine, ayant ses ministres, ses fonctionnaires, sa police, et qui manifesta le désir de se débarrasser de tous les « indésirables, » afin de rétablir l’ordre et de permettre au commerce et à l’industrie de reprendre une marche normale. Elle voulut se créer une armée ayant des cadres, une tenue à elle ; en un mot, on sentait un effort pour enrayer l’anarchie. De fait, une manière d’ordre commençait à se rétablir. On assistait même à la naissance d’une armée qui, une fois disciplinée, reprendrait peut-être l’esprit offensif capable d’immobiliser un bon nombre de divisions allemandes et déporter secours aux malheureux Roumains victimes de la défection russe. Le gouvernement français n’hésita pas, il reconnut le gouvernement de la Rada et envoya auprès de lui un représentant, le général Tabouis. La déception devait être rapide, et bientôt aucune illusion ne nous fut plus permise sur le peu d’influence que pourrait exercer cette mission.