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le 8 août, le communiqué allemand disait : « Le troupeau russe continue à fuir en désordre devant nous, sans que nous puissions arriver à en découvrir la cause… » Mais arrivés à la limite de la zone cultivée, et n’ayant dès lors aucun intérêt à étendre indéfiniment leur front, les Centraux s’arrêtaient enfin.

Nous eûmes alors cette surprise de voir, aux environs de Kaminetz-Podolsk, les deux fronts distants de plus de 8 et 10 kilomètres. Les soldats russes, s’ils n’étaient plus organisés, avaient du moins conscience que, pour eux, le meilleur abri contre les obus allemands était… la distance. Désormais, on put assister à ce fait, au moins imprévu dans la guerre de tranchées (et cependant renouvelé de la première campagne de Napoléon en Russie lors de la bataille de Vitepsk), que l’artillerie de campagne était obligée de se placer devant l’infanterie lorsqu’elle voulait exécuter un tir quelconque.

D’ailleurs, à Kaminetz, distant de 20 kilomètres environ des premières lignes, il était impossible de se douter que l’on fut si près du front. Tous les soirs, se donnaient de grands bals publics avec éclairage à giorno de toute la ville. Toute la journée, pâtisseries et restaurants regorgeaient de monde. Par contre, le désordre et l’anarchie dans l’armée continuaient leur courbe ascendante, avec parfois des incidents pleins de saveur.

C’est ainsi que, certain soir, dans un bal public, à la suite d’une discussion survenue entre quelques officiers d’un régiment et ceux des autos-mitrailleuses, on vit les soldats des deux partis adverses prendre fait et cause pour leurs chefs. Après un pugilat en règle, les autos-mitrailleurs, numériquement inférieurs et bien décidés à avoir l’avantage, partirent à leur cantonnement pour chercher leurs véhicules, et revinrent en tirant dans les rues. Fort heureusement, comme il était deux heures du matin, les passants étaient rares et surtout, les tireurs étant ivres, leur tir manquait de précision : il y eut cependant quelques victimes. Or, le jour des obsèques, que l’on voulut les plus impressionnantes possible, quel ne fut pas notre étonnement de voir une auto-mitrailleuse servir de corbillard à ses propres victimes et une deuxième, chamarrée de drapeaux rouges, portant des fleurs et des couronnes ! ! ! Les deux partis adverses, s’étant réconciliés, voulaient ainsi sceller leur parfait accord !

C’est encore dans cette bonne ville de Kaminetz que nous