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il ne le couvrirait qu’en se découvrant; il le laisse donc découvert et nu comme un cadavre. Ainsi M. de Kühlmann, ayant contredit l’Empereur, le chancelier de Hertling désavoue M. de Kühlmann, quitte à se reprendre le lendemain et à se rectifier lui-même. Quand. il disserte, en exégète et en casuiste qu’il est de nature et de profession, sur le « gage » dont l’Allemagne s’est nantie en Belgique, le gage, c’est lui qui le donne, et il réalise ce chef-d’œuvre de le donner successivement et alternativement deux fois, aux droites qui veulent le garder, et aux gauches qui veulent le rendre. Et ainsi, toujours une issue reste ouverte : celle de la paix de domination, ou celle de la paix de conciliation. La sortie dépendra des succès militaires. L’État-major exige une « paix forte, » la paix de violence, la paix allemande. Soit, et tant mieux : qu’il la gagne! On ne lui demande, que de réussir. Néanmoins, si, par aventure, il ne réussissait pas, en ce cas, la diplomatie et la majorité libérale du Reichstag seraient sur leurs pieds pour revenir à la raison et négocier un arrangement.

Tout en Allemagne, toute l’Allemagne, tourne de plus en plus autour de cette idée- obsédante de la paix. Si la figure du comte Hertling nous apparaît entachée de duplicité, ce n’est pas tout à fait sa faute. Son jeu est double, parce que l’opinion, qu’il a à ménager, la situation, qu’il a à dénouer, sont doubles. D’une part, le besoin d’une paix quelconque; d’autre part, l’espoir, le rêve, le mirage d’une paix allemande. Les yeux et le ventre. Des rations de famine et l’appétit de l’Ogre. Mais la paix! Il n’est pas jusqu’à la dernière offensive, « — dont on s’était flatté qu’elle serait la dernière, au sens absolu, — qu’on n’ait baptisée « l’offensive de la paix, » Friedenssturm. Si l’on eût pu, par elle, emporter l’Occident après l’Orient, c’eût été là paix triomphante, la véritable paix allemande, la paix accablante et écrasante. Mais, si l’Occident redresse le fléau et fait équilibre à l’Orient, M. de Hertling, et M. de Payer, sur la scène, M. Scheidemann et M. Erzberger, dans la coulisse, ne sont ni sourds ni muets : on pourra causer.

La défaite allemande de la Marne, qu’on « camoufle» pour le public et qu’on lui dissimule, mais qu’on ne saurait se dissimuler entre soi, diffère la solution en Occident, si elle ne la précipite ou ne l’entraîne pas, dans le temps même où, en Orient, les choses se gâtent. La décomposition russe atteint le dernier degré de la pourriture; mais nous ne nous trompions pas en indiquant, d’après certains -symptômes, que, par-dessous, l’organisme travaille, qu’il reconstitue