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couvrir. Ce n’en est pas moins une retraite en assez mauvais arroi par des chemins médiocres et enchevêtrés, les bonnes routes, qui sont rares, étant toutes interdites ou menacées. Le nombre n’est une force que dans l’ordre ; dans le désordre, ce n’est qu’une gêne. « Plus il en viendra, disait Bugeaud, regardant tourbillonner des nuées d’Arabes, plus ils se nuiront. » Assurément, les Allemands font une autre nuée que les Arabes du temps de Bugeaud. Mais, dans certains moments, il y a, pour la plus obéissante, la plus disciplinée, la plus mécanique, la plus automatique des armées, un minimum de confusion irréductible. En de tels moments, le vent des catastrophes peut toujours se lever. Et il peut souffler de plusieurs côtés à la fois. N’est-ce qu’une brise fugitive qui se lève sur la vallée de l’Avre, au Nord de Montdidier, vers Mailly-Raineval, où nous avons ajouté 2 000 prisonniers de Picardie aux 20 000 prisonniers de Champagne?

Nous, cependant, refrénons nos désirs, bridons nos espérances: domptons, pour parler avec Bossuet, car nulle parole aujourd’hui n’est trop grande, domptons ces chevaux sauvages. Si demain la réalité rompt les liens où, par prudence, nous voulons les entraver, si nos désirs se trouvent comblés et nos espérances dépassées, notre joie en sera plus large et plus chaude. Toutefois, dès à présent, en ne considérant que les résultats acquis, osons écrire le mot : c’est la victoire. C’est une seconde victoire de la Marne, qui, fidèle à sa fonction historique, a accompli, hier encore, son devoir de rivière française.

Dans un miracle qui se renouvelle, il entre une forte part de vertu. Valeur des chefs, vaillance magnifique des troupes, patience et endurance de la nation. Qu’a-t-il fallu pour libérer toute cette énergie, pour dégager toute cette puissance latente? Simplement, que nous eussions un gouvernement qui dit : « Je fais la guerre, » et un commandement qui la fît. Plus simplement, que ce peuple eût le gouvernement, et cette armée, le commandement qu’ils méritent. Tout simplement, qu’un nous donnât, après tant d’essais et de déceptions, un gouvernement et un commandement. Qu’on en finît avec la commode et mortelle habitude du gouvernement de Pas-de-gouvernement, avec la commode et mortelle formule du N’importe qui. Qu’au gouvernement et au commandement, l’homme qu’il fallait fût mis à la place où il le fallait dans l’instant où il le fallait; qu’un Clemenceau tendit et fit vibrer la corde; qu’un Foch mûrit et combinât le plan ; et qu’un Fayolle utilisât l’instrument merveilleux qu’un Pétain avait reforgé, tandis qu’un Castelnau, et ses émules ou ses élèves,