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tomberions à genoux dès la minute où elle nous rappellerait au sentiment de la réalité. Singulière contradiction du génie ou du caractère allemand; d’une part, il se croit supérieur, unique, surhumain, uebermenslich; et, d’autre part, il agit comme si tous les hommes étaient bâtis et conformés sur son modèle : l'Allemand est ainsi; en conséquence, il faut que tout le monde soit ainsi. L’Allemand tremblerait de constater le synchronisme astronomique des coups intermittents que tire le « canonissime » et de la reprise de la bataille, du déchaînement d’une nouvelle ruée; par conséquent, Paris ne peut qu’en trembler, et la France qu’en être plongée dans une angoisse qui paralyse sa volonté de continuer à se défendre. Le procédé est destiné à agir, en outre, autant sur l’esprit public en Allemagne que sur l’opinion française; et, autant qu’à déprimer l’une, il vise à remonter l’autre. Cette fois, la Bertha n’ayant pu nous couper bras et jambes, ni le souffle, ni la confiance, le service berlinois de la propagande affirme que du moins elle a coupé nos fils télégraphiques et que nous ne communiquons plus, soit avec Genève, soit avec le Midi ! Nous voudrions que toute l’Allemagne pût entendre les propos que de pareilles calembredaines inspirent aux Parisiens. Elle n’en serait évidemment pas flattée, mais tant pis pour elle : il n’y a que la vérité qui blesse. Lorsque, à l’heure fatidique où Ludendorff donne le signal de l’attaque, se remet à tonner le supercanon, ce que nous disons n’a rien de commun avec ce que la puérilité allemande pense nous faire dire.

Mais revenons aux affaires sérieuses, à la seule affaire sérieuse. Le 15 juillet, au matin, nous ne dormions pas. Nous attendions si bien la cinquième ofîensive que nous n’étions inquiets que de l’attendre trop, et que notre unique surprise était de ne pas la voir venir. Ce ne serait pas tout dire. Nous l’attendions très exactement sur le front même et aux endroits mêmes où elle s’est produite. On n’aime pas ici à entrer dans le détail des opérations militaires, d’abord parce qu’on sent profondément à quel point la compétence ferait défaut, et ensuite, ou en même temps, parce qu’on les connaît mal ; qu’on n’a, pour sources authentiques, que les communiqués, dont la sécheresse n’augmente pas toujours la précision ; que tout ce qu’on pourrait mettre autour ne serait qu’impressions ou reflet d’impressions, choses plus ou moins bien vues par des hommes dont chacun n’en a vu qu’un coin, récit par Fabrice de la bataille de Waterloo ; et qu’ainsi on risquerait de commettre, sur d’autres choses, et sur celles-là même, des inexactitudes; envers d’autres hommes, d’après