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chacune de ses Intonations prête à rire ; et parce qu’il se trouble au cinquième, et que sa voix se mouille de larmes, il faudra que soudain nous soyons plongés en plein drame.

Ni l’un ni l’autre.

Pour saisir la nuance exacte où doit être tenu le rôle d’Arnolphe, dans sa partie comique, — en admettant pour un instant que le rôle ne soit pas uniquement comique et d’une parfaite unité, — il n’est que de se rappeler les déclarations mêmes de Molière et qu’il a faites justement à propos de l’École des Femmes. C’est dans la Critique qu’il définit la comédie, l’art « d’entrer comme il faut dans le ridicule des hommes et de rendre agréablement les défauts de tout le monde… Lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d’après nature. On veut que ces portraits ressemblent… » Arnolphe est l’un d’entre nous, fait comme tout le monde, et qui a son ridicule comme nous avons les nôtres. Fort honnête homme, au surplus, et qui a du mérite, généreux, entouré d’estime et d’amitié ; mais sur un point il raisonne mal, parce qu’il raisonne trop. Une idée le hante, celle du risque que l’on court dans le mariage : s’il est parvenu jusqu’à quarante-deux ans sans se marier, c’est par crainte d’être trompé. Ne nous en étonnons pas trop, s’il est vrai que beaucoup de célibataires au temps de Molière et beaucoup en notre temps n’ont pas eu d’autre motif de s’obstiner dans leur célibat. La mésaventure conjugale est chez lui à l’état de cauchemar : il en a sans cesse présents à l’esprit maints exemples dont il fait d’abondants et plaisants récits. C’est un conteur gaulois à qui sa gauloiserie a fait prendre peur. Curieux jusqu’à la manie de ce qui se passe dans le ménage du voisin, et toujours prêt à en faire des gorges chaudes, il a, pour se mettre lui-même à l’abri et préserver son Iront, ourdi la trame la plus savante et agencé la mieux concertée et la plus sûre des combinaisons. Et voilà son tort ! Il philosophe trop, il croit à la vertu des théories et à l’efficacité de l’artifice ; il a une « méthode » et il s’y entête ; il est dupe de son pédantisme. C’est un homme à idée fixe et à système ; la nature se rit de son idée fixe et déjoue son système : en cela consiste tout le comique du rôle.

Poursuivons. Poussons jusqu’au bout cette logique des choses qui s’achève en ironie. Arnolphe s’est pris à son piège : ce « redoutable seigneur et maître n’est plus, aux pieds d’Agnès, qu’un pauvre homme amoureux. Il souffre et nous le prenons en pitié. Mais nous n’avons garde de prendre sa souffrance au tragique : nous