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dialogues les plus limpides. Longtemps, cet art avec ses grâces mièvres fut tenu pour inférieur à celui du siècle précédent qui était robuste et sain. Puis la mode s’en empara : ce fut un engouement, et on se souvient quelle vanité tiraient les frères de Goncourt d’y avoir été pour quelque chose. À la tranquillité des lignes on préféra les élégances contournées. On ne fit plus la différence entre le classique selon Molière et le classique selon Marivaux et Beaumarchais. On emprunta à celui-ci quelques-uns de ses agréments pour en orner la franchise de celui-là. Agnès devint une « fausse Agnès. » — Au goût pour le XVIIIe siècle ajoutez une invention qui date du théâtre d’Henry Becque et de ses imitateurs du Théâtre-Libre. Dans ce théâtre, apprêté et tendu et d’où le naturalisme avait banni le naturel, il était convenu que les personnages devaient faire au public les honneurs de leur propre caractère, dont ils s’instituaient les ciceroni et les commentateurs, s’ingéniant à le mettre en formules laborieusement expressives. Par une sorte de dérision, ces mots forgés et qui sentaient l’enclume furent dénommés : mots de nature. Molière fut annexé à l’école, cela va sans dire, et Agnès se mit à souligner chacune de ses répliques d’un : « Voyez jusqu’où va ma simplicité ! » Alors il ne resta plus rien du rôle. — C’est cette contrefaçon d’Agnès qui est maintenant installée à la Comédie Française, celle que les chefs d’emploi nous présentent avec assurance, et celle où s’essaient plus timidement les débutantes empressées à les suivre dans une erreur consacrée par le succès.

Pour ce qui est du rôle d’Arnolphe, dont on force d’abord le comique pour en exagérer ensuite le côté douloureux, la faute est aux romantiques. Dominé par le génie de Victor Hugo, notre romantisme a adopté la forme même de ce génie qui était l’antithèse. Il l’a appliquée à la psychologie, et c’était une erreur à la vicier totalement. Il a posé en principe que la nature humaine est toute en contrastes violents et que cela même est la réalité. Il a mis partout des oppositions tranchées, où il eût fallu voir ce qui y est : le mélange, la complexité, les transitions et les nuances. Il ne s’est pas douté que le propre signe de la vie, c’est la souplesse. Il a opposé dans une même pièce le rire et les larmes, dans un même rôle le tragique et le comique, et d’ailleurs, enflant et grossissant toutes choses, défini le comique par le grotesque et le tragique par le mélodramatique. Ainsi il a faussé toute l’interprétation de Shakspeare et une bonne partie de celle de Molière. Parce qu’Arnolphe est le ridicule de la pièce, il faudra, pendant les quatre premiers actes, que chacun de ses gestes et