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livre de Télémaque : » supprimée, cette Vedette ! Supprimé, l’Ami des Lois, pour s’être moqué de l’Institut ! Et, la République démocrate d’Auch, supprimée, pour avoir signalé le renchérissement des grains ! Et la Gazette de France et le Journal des Débats, suspendus, pour avoir inséré le bref du Pape aux évêques émigrés ! Et le Bien informé, les Hommes libres, les Défenseurs de la Patrie, condamnés à présenter des rédacteurs « d’une moralité et d’un patriotisme à l’abri de toute corruption : » quel ennui !… Voilà beaucoup de tracasseries ? Probablement.

Bonaparte eut son journal, le Moniteur ; il ne le dirigeait pas seulement : il y écrivait. Il y écrivait contre l’Angleterre ; il y soutint, contre la presse anglaise et le gouvernement britannique, une polémique très longue et très violente. Ses articles sont, au gré de Thiers, « des chefs-d’œuvre de raison, d’éloquence et de style. » Au lendemain de brumaire, Pitt reçut de Bonaparte ce papier : « Il est impossible, s’il n’est pas le plus obstiné des hommes, qu’il ne reconnaisse enfin la profondeur de l’abîme dans lequel il va précipiter sa nation ; il faut qu’il en soit le plus insensé, s’il n’emploie pas autant de moyens pour le combler qu’il semble en avoir pris pour le creuser. De tous ces moyens, le plus puissant, le seul peut-être qui soit véritablement efficace, c’est la paix. » Et il est, lui Bonaparte, l’homme de la paix. Seulement, Pitt l’oblige à la guerre : il fait la guerre, et la fait aussi dans le Moniteur, avec une brutale sûreté.

Il y avait, au Moniteur, Sauvo, rédacteur en chef. Mais le rédacteur en chef qui a pour collaborateur le Premier Consul n’est pas un maître tout-puissant. Bonaparte secoue Sauvo. Et Sauvo, quand le Premier Consul lui donne de la copie, est bien tranquille. Les autres jours, Sauvo a des ennuis. Que publier ? Sauvo croit se tirer d’affaire en publiant des articles fades, étrangers à toute politique. Un temps, il recourut au citoyen Goërtz, médecin, qui ne lui refusait pas un abondant éloge de la vaccine. Mais le Premier Consul : « Toujours de la vaccine ! C’est bien ennuyeux ! « Il faut l’avouer, les jours que Bonaparte n’y écrivait pas, le Moniteur était ennuyeux. C’est le danger des journaux qui sont l’organe d’un seul écrivain ; puis, les divers inconvénients d’un journal officiel, le Moniteur ne les évitait pas.

A défaut d’articles, Bonaparte envoyait divers communiqués et de bons démentis, comme ceci : « L’Ami des lois dit que le Premier Consul Bonaparte vient de commander une fête qui coûtera deux cent mille francs. Cela est faux ! Le Premier Consul Bonaparte sait que