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Plaindrons-nous aujourd’hui, en vertu de principes nouveaux, des gens qui ne se plaignaient pas ? La presse de la Révolution ne fut pas regrettée, sous le Consulat : nous n’allons pas la regretter.

Qu’est ce que reprochait Bonaparte à ces journaux qu’il traita rudement ? Thiers le dit aussi : le Premier Consul commençait à s’inquiéter « des indiscrétions que la presse commettait à l’égard des opérations militaires et des attaques virulentes qu’elle se permettait contre les gouvernements étrangers. » Il voulait réconcilier la République avec l’Europe. Les journaux allaient à l’encontre de ses volontés pacifiques. Il voulait « effacer partout les traces de la violence. » Les journaux entretenaient la violence. Il supprima le plus grand nombre des journaux ; ceux qu’il conserva, il les soumit. Thiers note que l’opinion publique n’était aucunement opposée à cette politique et ne réclama point la liberté de la presse : elle en avait trop vu l’effronterie et la licence.

Avant de nous attendrir à l’excès sur la presse admirablement libre que Bonaparte a supprimée, sachons ce dont nous privait-ce tyran. La presse était libre en Angleterre ; et certains journalistes de chez nous travaillaient là-bas. Il y eut là-bas ce Pelrier qui rédigeait de ces « Paris. » Il annonça l’avènement du Premier Consul : « Et alors a commencé le règne de Sa Majesté très incroyable Napoléon, alias Bonaparte, premier du nom, chef d’une nouvelle dynastie corse et soixante-huitième roi de France par la grâce de l’abbé Sieyès, de Lucien Bonaparte et de M. Saladin, héros du XVIIIe siècle, premier Consul de la grande nation, généralissime de la race des Braves, etc… Et, suivant tous les honnêtes gens, misérable lieutenant de Barras, époux avili de la concubine de ce dernier, mitrailleur de Toulon, mitrailleur de Paris, massacreur d’Alexandrie, boucher du Caire, aventurier, charlatan, hypocrite, ambitieux effréné, révolutionnaire outré, traître à son armée, déserteur d’Egypte, fuyard de Syrie, bourreau de l’espèce humaine, homme sans foi et sans loi, inconséquent, perfide, extravagant, athée, chef de brigands, usurpateur, tyran, l’Attila et le Tamerlan modernes, enfin le plus odieux des hommes… » Pelrier racontait que Bonaparte avait pour mère cette Mme de La Motte, fameuse depuis l’affaire du Collier : porté en Corse, il aurait grandi par les soins de Laetitia, sa mère putative. Un autre jour, il racontait que Bonaparte était le fils du marquis de Marbeuf, gouverneur de la Corse et l’amant de Laetitia. Il publiait un dessin qui montrait Bonaparte empoisonnant les malades et les blessés de Jaffa, tandis que Desgenettes, le médecin, s’éloigne avec horreur. Il