Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/702

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’an VIII n’avait pas réglé la question des journaux. Bonaparte réunit un conseil, où il appela Rœderer, Emmery ; un conseil où il fut : et l’avis de Rœderer ou d’Emmery, ce n’était rien. Bonn parle dit : « Qu’est ce qu’un journal ? Un club diffus. Un journal agit sur ses abonnés à la manière d’un harangueur de club sur son auditoire. Vous voulez que j’interdise des discours qui peuvent être entendus de quatre ou cinq cents personnes et que j’en permette qui le soient de plusieurs milliers ! » Le décret du M janvier 1800 remit au ministre de la police le soin de ne laisser publier et distribuer, pendant la durée de la guerre, que treize journaux : les autres, étant « des instruments dans les mains des ennemis de la République, » supprimés. Les propriétaires et rédacteurs des journaux maintenus avaient à justifier de leur qualité de citoyens français. Et le ministre de la police supprimera, sans autre forme de procès, les journaux jusque-là maintenus et qui inséreraient « des articles contraires au respect dû au pacte social, à la souveraineté du peuple et à la gloire des armées. » Là-dessus, M. Périvier se désole. Voilà, dit-il, la presse « ravalée à ce bas niveau. » Il plaint « la pensée humaine. » Et il écrit : « le printemps du Consulat, comme on a si gracieusement et si justement appelé cette époque riche de tant de promesses, vint brusquement anéantir dans sa fleur le journalisme fraîchement éclos de la Révolution. » La fleur du journalisme révolutionnaire ? et ce journalisme révolutionnaire si fraîchement éclos ? et tant de regrets sur la perte d’une si belle et jolie chose ? En vérité, non ! Un peu plus loin, M. Périvier dit que Bonaparte « avait assisté à l’orgie des journaux révolutionnaires et royalistes avant et après Thermidor » et qu’« il en avait conçu un profond dégoût. » Veuillez lire les journaux de l’époque révolutionnaire : et vous en aurez le même dégoût que Bonaparte.

Thiers, cité par M. Périvier, commente les mesures que prit Bonaparte contre les journaux : mesures qui auraient été plus tard impossibles, mais qui alors étaient légales, puisque la Constitution ne les interdisait pas, et qui, étant donné l’esprit du temps, parurent insignifiantes. Les révolutionnaires avaient préféré aux journaux les tribunes des assemblées et des clubs. À l’époque du 18 fructidor, ce sont principalement les royalistes qui se servirent des journaux : et les révolutionnaires s’accoutumèrent ainsi à mépriser les journaux. Conséquemment, on souffrit à merveille que la presse pâtît au 18 fructidor et que la Constitution de l’an VIII, la négligeant, ne la protégeant pas, la soumit au bon plaisir du gouvernement.