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Nous verrons sans doute à cette occasion reparaître le vieux sophisme que la prodigalité est utile pour « faire aller le commerce. » Combattons-le ! Un pays ne s’enrichit pas par des dépenses ou des travaux inutiles. On raisonne toujours comme au temps où la fortune d’Harpagon consistait en pièces d’or enfouies dans un coffre au fond de son jardin ; alors on pouvait à la rigueur soutenir l’utilité de remettre en circulation cet or, non pas comme représentant de la richesse, mais comme instrument d’échange. Aujourd’hui, la fortune d’Harpagon comprend presque uniquement des morceaux de papier dessinés et peints, auxquels on donne le nom d’actions ou d’obligations. Que ces papiers soient dans un coffre ou dans un autre, l’or qu’ils représentent n’en accomplit pas moins exactement de même son œuvre utile, en participant à l’activité commerciale et industrielle du pays. Et alors apparaît, dans toute sa clarté, l’autre côté de la question. Un pays n’a qu’une quantité limitée de ressources à dépenser. Si on les emploie à des œuvres de luxe inutiles, elles feront défaut ailleurs ; on ne pourra les obtenir qu’à plus haut prix pour d’autres travaux nécessaires, dont le coût sera par conséquent accru. Le singe de la fable, qui jetait les pièces d’or de son maître dans la rue, ne nuisait pas à la communauté ; mais il aurait accompli une œuvre néfaste si, comme le véritable prodigue, il les avait lancées dans la mer. Donc, tant que le pays devra rester « au régime » et se restreindre, ne nous laissons pas inciter à des dépenses vaines, si profitables qu’elles puissent sembler à certaines corporations.

On trouvera aisément l’application de cette idée pour toute une série de besoins factices que l’humanité avait fini par se créer. De même que nous mangions trop, nous poussions le besoin du mouvement jusqu’à l’agitation fébrile ; nous abusions du chauffage et de l’éclairage. On pourra retrancher momentanément beaucoup de notre superflu, sans que la vie soit, pour cela, interrompue. La guerre aurait même rendu un immense service au pays, quoi qu’en puissent dire les viticulteurs, les marchands de vin, les fumeurs et quelques chimistes, si elle pouvait aboutir à éliminer ou à réduire ces deux inutilités nuisibles que l’on appelle l’alcool non industriel et le tabac. Le budget semblerait d’abord en souffrir un peu ; mais, si agréable qu’il puisse être de voir grossir le produit d’un impôt dont on