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lendemain, manquer de pierre, de chaux, de poutrelles et de charpentes. Une mobilisation rationnelle et méthodique de nos forces et de nos ressources s’impose donc, dès le premier instant, à nous. Si l’on ne veut pas éprouver la surprise de chômages dans les industries destinées logiquement à la plus grande prospérité, il faut éviter de leur donner leur plein rendement, avant qu’elles soient munies des approvisionnements nécessaires. Les industriels le savent bien, et c’est la notion la plus élémentaire de leur métier ; mais comptons néanmoins avec l’impatience naturelle d’hommes qui ont été soumis à un long jeûne et qui peuvent être tentés de travailler dès qu’ils auront réuni des stocks analogues à ceux qui leur suffisaient autrefois, pensant les renouveler comme jadis au fur et à mesure de leur épuisement, alors que, dans le cas présent, le réapprovisionnement pourra, au bout de quelque temps, devenir de plus en plus difficile.

En remontant à la source, on va être évidemment paralysé par la disette de machines motrices et de métiers. Toutes les usines des deux mondes, qui se sont tournées vers la fabrication de guerre, n’ont pas donné, pendant ce temps, leur rendement de paix habituel. Le retour inverse comportera un retard qui empêchera cette grande fièvre d’activité générale que l’on escompte, et qui aura d’ailleurs l’avantage de nous laisser souffler, en nous permettant de parer à d’autres difficultés, telles que la disette de main-d’œuvre et l’engorgement de nos ports ou de nos voies ferrées.

J’ajoute qu’entre le marché intérieur et la vente au dehors, nous allons être amenés souvent à faire un choix. Il faudra nous tourner, partout où ce sera possible, résolument vers l’exportation. C’est le moyen le plus prompt de retrouver des capitaux. Manquant d’hommes, de transports et de matières premières, nous devrons aller jusqu’à servir les autres avant de nous servir nous-mêmes. Car il n’y aura pas un instant à perdre. Une fois faites les réparations indispensables pour pouvoir vivre, appliquons-nous d’abord à produire pour l’étranger. Au dedans, nous nous priverons ; nous en avons pris l’habitude, et ce sera l’occasion d’appliquer le principe d’économie qui va dominer toute la question. Le luxe parisien, nous le laisserons entretenir par les étrangers plus riches qui viendront nous rendre visite ; avant la guerre, ils s’en chargeaient déjà.