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Il faut donc nous habituer à penser en pauvres, acquérir des vertus de pauvres, dont les premières, puisque le peuple français est dès à présent travailleur, seront l’ordre et l’économie. Devons-nous entendre, par une telle mentalité d’indigents cette lâche résignation à un sort misérable, qui le subit avec fatalisme et ne tente aucun effort pour s’y soustraire ? En aucune manière.

A défaut de notre tempérament national qui se prêterait mal à cette déchéance consentie, le courant d’air venu à travers l’Atlantique a été trop violent et sera trop durable pour ne pas nous apporter les ardeurs du pauvre entreprenant, vigoureux et jeune, qui se connaît ou s’attribue toutes les possibilités d’un milliardaire. Dans la société moderne, un homme peut, en une seule génération, s’élancer de l’état le plus infime à la fortune la plus éblouissante ; à plus forte raison, une industrie ou un pays. Un péril, contre lequel il faut ici nous prémunir, est seulement de vouloir aller trop vite au début. Les premières étapes d’un enrichissement doivent être lentes et, comme on l’a dit maintes fois, pour devenir (ou redevenir) millionnaire, le plus difficile est de conquérir les premiers écus.

Je crois, à cet égard, prudent de nous tenir en garde contre une illusion très fréquente et que certains écrivains encouragent avec la bonne intention de « soutenir le moral ; » c’est l’hypothèse d’un réveil industriel et commercial, intense, fulgurant, dès le lendemain de la paix. On pense à ce qui s’est passé après 1871 et on amplifie dans la proportion des deux guerres. On dit : « tout sera à reconstituer dans le monde entier : » et l’affirmation est exacte ; mais, précisément pour ce motif, la reconstitution ne pourra se faire instantanément et elle risquerait même d’être compromise si l’on prétendait atteindre partout, dès le premier jour, le maximum d’activité. Cela est facile à comprendre. Bien des industries sont solidaires entre elles et ne peuvent se réanimer que dans un ordre logique. A toutes il faut du charbon et des transports. Mais, en outre, un lissage a besoin d’une filature, qui nécessite une importation de coton : par conséquent, des plantations, des bateaux, des ponts et des voies ferrées. Un atelier de construction mécanique demande une aciérie, qui a besoin du haut fourneau, recourant lui-même à la mine de fer. Il est inutile de se mettre partout à reconstruire des maisons et des ateliers pour, dès le