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guerre, en déplaçant les courants commerciaux, en accoutumant le monde entier à conduire ses opérations d’achat et de vente comme si l’Allemagne n’existait pas, aura singulièrement facilité cette prohibition momentanée.

Arrivons donc à l’exécution de ce programme, qui, nécessairement, exigera la prolongation de mesures restrictives analogues à celles dont la guerre nous a inculqué l’habitude. Pour éviter que les matières premières n’aillent chez les centraux, il ne suffit pas d’énoncer une interdiction illusoire que le moindre intermédiaire suisse, hollandais ou suédois, qu’un allié complaisant, toujours facile à trouver en y mettant le prix, arriverait trop vite à tourner. Nous avons vu, dans les premiers temps du blocus, quand le commerce des neutres était resté à peu près libre, avec quelle facilité scandaleuse se ravitaillait l’Allemagne. Non, si l’on veut aboutir, il faut adopter des résolutions extrêmes, fermer les frontières dans le sens de l’Allemagne pour les substances en cause, établir des prohibitions de sortie ou des tarifs de douane draconiens, contingenter tous les neutres sans tenir compte de leurs plaintes ni des rapprochements qui pourront en résulter entre eux et nos ennemis ; il faudra même peut-être, ne nous le dissimulons pas, supporter, dans une certaine mesure, la mainmise des divers États, ou d’un Conseil des États Alliés, sur les grands commerces d’exportation qu’on voudra réglementer et sur les flottes marchandes destinées à les transporter. Si on envisage avec horreur de telles conséquences, si on veut sauver la liberté commerciale pendant cette période d’après-guerre armée, il est tout à fait inutile de rien tenter dans cet ordre d’idées, car on serait sûr de ne pas aboutir.

Parmi les procédés pratiques, auxquels on peut songer, le premier, et peut-être le plus efficace, est de garder au début le contrôle des mers et la réglementation du fret. La presque totalité des matières premières qui manqueront aux Allemands doit leur arriver par mer. Quand même ils auraient, comme nous savons qu’ils l’ont fait, constitué des stocks dans les pays neutres, ou négocié des achats à terme pour « la fin de la guerre ; » quand même ils continueraient ces achats par quelques collaborateurs interposés, si, pendant plusieurs mois, ils manquent de transports vers l’Allemagne, un premier point très important sera atteint, puisque cela