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cessait de produire, on dépensait ; les stocks s’épuisaient, les magasins se vidaient, les réserves latentes des particuliers rentraient dans la circulation pour y fondre ; tout ce qui ne présentait pas un caractère d’urgence absolue était remis à la paix. Pour revivre, pour reconstituer, pour reconstruire, les besoins seront énormes. Peut-être même s’apercevra-t-on, dans bien des cas, au début, que les consommations courantes seront devenues supérieures à ce qu’elles étaient autrefois. Malgré toutes les résolutions d’économie que les hommes auront pu être invités à prendre, beaucoup d’entre eux se seront accoutumés, par les enrichissements de guerre, par les salaires accrus, par les allocations, par le non-payement des loyers, à des dépenses qu’ils ne restreindront pas du jour au lendemain. Les appauvris, de leur côté, n’auront pas encore appris suffisamment à se réduire, ou, devant la menace croissante d’être dépouillés par le fisc, ils préféreront vivre plus à l’aise.

Nous allons donc nous trouver en présence d’une concurrence qui ne viendra pas seulement de nos ennemis, mais aussi de nos alliés. On se disputera les rares ressources disponibles à coup d’argent, dans la mesure où l’on aura conservé des capitaux et du crédit ; on se disputera aussi les moyens de transporter les matières premières obtenues.

Sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, éclate l’imprévoyance de ceux qui escomptent une réconciliation générale et universelle, l’établissement d’une paix sans fin et l’association sentimentale de tous les peuples. Tant que les hommes auront un ventre, ils s’arracheront la nourriture et les moyens de se la procurer. Le problème que nous envisageons ici présente, pour un Français, deux faces distinctes et pourrait être examiné de deux manières : ravitaillement propre et mesures d’hostilité contre l’ennemi. En réalité, ces deux points de vue se confondent. Il faut, d’abord, assurer à notre pays la satisfaction de ses besoins légitimes, et nous devons nous rendre compte aussitôt que ce sera souvent difficile ; car nous allons être, parmi les grands belligérants, les plus défavorisés. L’Angleterre et les Etats-Unis auront, à la fois, leurs usines intactes, leurs approvisionnements assurés sur leur propre territoire (métropole et colonies), avec une flotte commerciale devenue ou restée puissante et d’abondantes ressources financières. L’Allemagne, si elle manquera de toutes les matières premières,