Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/660

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je songe, en ce soir triste où j’ai l’âme épuisée,
Au jardin qui rejoint l’enfant par les croisées,
À cette immensité de soi-même, pourtant
Modeste, où l’on se sent le serviteur content
D’un Destin vague encor, mais radieux et sage,
Dont notre être emporté va former le visage…


TRISTESSE DE L’AMOUR


Les femmes, mon amour, craignent la rêverie.
Tu ne peux pas savoir de quel poids la langueur
Les accable. Le soir, quand la calme prairie
Émet des parfums frais comme un sorbet d’odeur,

Quand le vent noir circule, invisible danseuse,
Et semble vouloir plaire aux astres attentifs,
Quand, au bas du coteau, un train prompt et furtif
Lance comme un torrent sa force aventureuse,

Quand sur la ville calme, et que l’ombre abolit,
Tout à coup le suave et copieux silence
Noblement se construit, navigue et se balance,
Aérien vaisseau sur l’éther amolli,

Les femmes sont sans joie, et se désintéressent
Du sublime univers, plein de vœux inconnus ;
L’esprit bouleversé, ces ardentes prêtresses
S’épouvantent du rêve en leur cœur contenu.

— Amants, ayez pitié de ces bêtes divines,
Aimez ce corps qui meurt, ce corps qui va mourir,
Ces fronts contemplatifs que la beauté chagrine,
Que rien, hormis l’amour, ne pourrait secourir !

Les femmes ne sont pas romanesques, l’espace
Qui cherche leurs regards et les vient envahir,
Ne leur offre jamais aucun but qui dépasse
L’éblouissement grave et constant du désir.