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jonction de la route de Soissons à Laon, Woronzof se jeta vers Chavignon au Nord ; nos avant-gardes arrivaient, après avoir dépassé la Malmaison, à l’auberge de l’Ange Gardien. On avait tout le Chemin des Dames : la nuit seule empêchait de poursuivre plus avant. Napoléon arriva lui-même à l’Ange Gardien : il y écrivit à son frère : « Je leur ai pris leur canon ; je les ai poussés jusqu’à l’Ange Gardien depuis Craonne. » Il revint coucher à Brave chez M. de Noue de Villers (la maison existait encore en 1914). Il écrivit de là à Berthier : « Faites afficher que nous les avons menés tambours battant sous la mitraille de cent pièces de canons depuis Craonne jusqu’à l’Ange Gardien. » Ainsi le Chemin des Dames entra définitivement dans l’histoire.


L’armée s’était arrêtée à sept heures du soir, la cavalerie de Colbert cantonna à Aizy, la cavalerie de la Garde bivouaqua à hauteur de Jouy entre Aisne et Ailette, ’la division Roussel vers Ostel, le gros de l’artillerie entre Filain et Ostel, la garde avec l’Empereur à Brave. A l’aube, l’infanterie arrivait à son tour sur la route de Soissons à Laon. Derrière la cavalerie remise en route, elle essaya de déboucher dans la plaine de Laon à Urcel et s’y arrêta. La division Friant était à Chavignon, les divisions Charpentier et Rebeval à la Malmaison.

Napoléon espérait emporter Laon par une attaque brusquée. Ayant perdu 5 400 hommes, il était affaibli ; mais, incontestablement vainqueur, il estimait en outre bien supérieures, — en quoi il se trompait, — les pertes de l’ennemi, qui étaient simplement égales. Ignorant que le feld-maréchal fût parvenu à Laon, le 9 mars, il poussa les dragons de Roussel sur la ville ; ils furent reçus par des salves de mitraille et durent se replier. Napoléon pensa réduire la ville par une bataille en règle. Il ne se résignait point à une victoire qui, ayant coûté cher, resterait en outre sans lendemain. Ici son dépit l’inspira mal. Il fallait bien reconnaître que la bataille de Craonne, si glorieuse qu’elle fût pour nous, avait, en le retardant, fait échouer une partie de son plan. Il avait voulu tourner le massif pour arriver promptement à Laon ; on l’avait forcé à le conquérir pour garder son flanc ; il l’avait conquis, mais il arrivait trop tard en face de « la grande redoute. » Il lui paraissait cependant