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Trou de la Demoiselle, déboucherait sur le flanc gauche de Woronzof, et les cavaliers de Nansouty feraient, de Vassogne, la même opération sur son flanc droit. Mais pour Bussy, c’était folie d’essayer de faire gravir à des cavaliers les pentes Sud de l’abbaye de Vauclerc ; mieux valait partir d’Ailles : la pente était moins raide et le débouché se ferait un peu en arrière de l’isthme, double profit. Napoléon, qui aimait employer les gens compétents, nomma incontinent colonel cet ancien lieutenant et le chargea de guider la cavalerie sur la pente Sud dont le maire de Beaurieux connaissait tous les sentiers.

L’artillerie était encore, dans la nuit du 6 au 7, près de Craonne ou en plaine. Une assez forte gelée avait, cette nuit-là, verglassé le sol, et les équipages eurent quelque peine à hisser les pièces, si bien qu’elles ne furent le 7 mars qu’entre neuf et dix heures en position, — retard qui fut très préjudiciable, — sur le petit plateau (Californie actuelle). Pendant que l’on échangeait des boulets, Blücher, qui s’était porté près de Woronzof, attendait avec anxiété des nouvelles de Winzingerode ; il était résolu à ne pas rester sur la défensive : il prendrait l’offensive dès qu’il aurait de bonnes nouvelles du corps chargé d’exécuter, par Festieux, un grand mouvement tournant. Mais, apprenant que, loin d’être à Festieux, ce corps complètement envasé piétinait encore dans la vallée de l’Ailette, il quitta le champ de bataille pour l’aller presser et donna l’ordre à Sacken, qui le suppléerait, et à Woronzof, de se contenter de résister jusqu’à nouvel ordre.


L’Empereur eût de son côté volontiers attendu, ainsi qu’il l’avait fait en avant d’Iéna sur le plateau de Landgrafenberg, l’arrivée de toutes ses unités avant d’entamer le combat. Et ce fut encore Ney qui, comme huit ans avant sur le Landgrafenberg, l’engagea prématurément. Tandis que l’artillerie amusait le tapis, soudain une terrible fusillade éclata sur la gauche de l’ennemi. C’était Ney qui escaladait les pentes du Trou de la Demoiselle par sa brigade Pierre Boyer : le terrible maréchal, chez qui la valeur ne se modéra jamais de prudence, avait du moins les avantages de ses défauts. C’était un entraîneur d’hommes : son audace se communiquant à ses troupes,