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ils se trouveraient démunis de matières premières ou de main-d’œuvre et ils auraient écoulé leur stock de marchandises à bas prix la veille d’une hausse ; ils regorgeraient de produits coûteusement achetés ou fabriqués au moment d’une baisse. La France, dont la prospérité, dont la vie même va dépendre de l’essor que pourront prendre ses industries et son agriculture, se trouve dans la même nécessité de spéculer sur un avenir incertain ; nous allons le faire pour elle, en admettant comme un point de départ ce que les mathématiciens appellent des postulats, auxquels des esprits rigoureux reprocheront justement leur caractère hypothétique.

Le premier de ces postulats nécessaires est que les Alliés poursuivront la lutte jusqu’à la victoire et seront en mesure d’imposer les conditions qu’ils ont maintes fois énoncées : conditions qui comportent la liberté absolue pour les peuples alliés de choisir leur nationalité, leur gouvernement, leurs associations et leurs relations économiques. Cela signifie clairement que nous ne serons pas ligotés, comme nous l’avons été trop longtemps, par des conventions opposées à tous nos intérêts et que nous ne nous ligoterons pas nous-mêmes par des considérations sentimentales, de manière à nous mettre dans l’impossibilité de repousser une invasion commerciale ou militaire. Le danger du dehors, tout le monde le voit, il est inutile de le souligner. Celui du dedans, moins apparent, est peut-être plus grave encore par la séduction qu’exercent des formules retentissantes dont, à force de les répéter ou de les entendre proclamer à l’Ouest comme à l’Est, nous pourrions finir par être les dupes. J’entends là des mots comme la liberté des mers, l’interdiction de tout boycottage économique, de tout traité de commerce imposé par la force des armes, de tout accord douanier séparé gênant la liberté du commerce des pays tiers, etc. L’empressement avec lequel les Allemands s’emparent de semblables expressions, quand ils les rencontrent dans notre camp, montre assez l’erreur commise en les énonçant.

Mon second postulat sera le suivant. Nous regarderons comme indiscutable l’intérêt majeur, vital, qu’offre pour la France le développement de son industrie et de ses exportations. Nous ne nous demanderons pas, comme on le fait dans certains milieux, si cela ne pourrait pas aboutir à faire tuer nos enfants pour des marchands de fer, des filateurs et des