Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/639

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait été finalement évacuée par nous a la nuit. Le corps de Ney avait pu cependant s’établir en toute sécurité sur les deux rives de l’Ailette, à Chermizy, Bouconville, Ailles. Le reste de l’armée était resté en plaine entre Berry-au-Bac et Corbeny où Napoléon avait encore son quartier général, à l’hôtel de l’Ecu de France, depuis démoli. Il s’en fallait que toutes les troupes eussent passé l’Aisne : une partie de l’artillerie divisionnaire de Charpentier était encore sur la rive gauche que Mortier et Marmont n’avaient pas encore atteinte. La bataille allait donc s’engager, le 7, au matin, dans des conditions assez défavorables pour nous.

Par surcroit, Woronzof, chargé de la défense de l’isthme, avait dit avec raison le commandant Weil, « admirablement tiré partie du terrain » qui, à la vérité, se prêtait à une défense aisée. Sa première ligne barrait l’isthme : forte de quatorze bataillons, elle faisait face au débouché d’Hurtebise, à 1 200 mètres en arrière de la ferme qu’occupait un poste russe avancé : la gauche s’appuyait à la crête de la montagne dominant le Trou de la Demoiselle, la droite débordait l’isthme et s’allongeait un peu sur les pentes du Trou d’Enfer vers la vallée Foulon. Une deuxième ligne de sept bataillons, une troisième de neuf étaient à cheval sur le Chemin des Dames, l’une à 500 et l’autre à 1 000 mètres en arrière de la première. La droite de la première ligne était couverte par le régiment Pawlograd et quatre régiments de Cosaques, face à la vallée Foulon et à Vassogne. Mais la force de Woronzof était dans son artillerie très supérieure, par le nombre des pièces comme par l’expérience des canonniers, à la nôtre : 26 pièces, dont 12 de gros calibre, commandaient le défilé, 12 étaient braquées sur les fonds du Trou d’Enfer, 18 sur ceux du Trou de la Demoiselle et 6 sur le village d’Aillés, 30 bouches restant en réserve.

Peu de positions avaient offert à Napoléon, soit par la disposition du terrain, soit par la façon dont l’ennemi l’avait utilisé, plus de difficultés.

Il eut la chance de rencontrer dans le maire de Beaurieux un de ses anciens camarades de la Fère, Bussy, qui le renseigna sur ces difficultés, — ce qui était déjà aider à les vaincre. L’Empereur avait l’intention de canonner le débouché de l’isthme pour faire croire à une attaque de front : cependant, Ney, escaladant de l’abbaye de Vauclerc les pentes du