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fût-il le plus grand, accorde aux renseignements favorables, la tenait pour plus démoralisée qu’elle ne l’était ; si, voulant éviter encore la bataille, Blücher essayait, par la route de Paris-Maubeuge à travers le plateau, de gagner Laon, Napoléon, dont les avant-gardes atteignaient Berry-au-Bac, pouvait espérer encore l’y précéder en utilisant la route de Reims à Laon, un peu plus courte et moins accidentée. Par Corbeny et Festieux, il gagnerait la plaine et Laon plus rapidement que Blücher ne saurait le faire par Laffaux, Chavignon et Etouvelles. Arrivant à Laon avant les Prussiens, il leur offrirait la bataille, adossé à cette formidable redoute. Il poussa son armée vers Berry, pressant par ailleurs Marmont et Mortier de le rejoindre.

L’Empereur ne craignait qu’une chose, c’est que Blücher, au lieu d’essayer de se porter sur Laon, tentât de lui disputer le passage de l’Aisne. Effectivement, Blücher en avait l’intention, mais ne pouvant s’imaginer que l’Empereur fût déjà sur Berry-au-Bac, il s’attendait à lui voir tenter de forcer le passage vers Venizel ou Micy. Le 4 mars au soir, il avait établi ses troupes sur les premières crêtes du plateau ou sur la rive droite de l’Aisne : Langeron était à Crouy, Bucy-le-Long, Vregny et Nanteuil-la-Fosse et Sacken le long de l’Aisne, de Soissons à Vailly ; Winzingerode occupait au centre les hauteurs au Nord de Vailly ; Kleist s’installait à Vaudesson, Pinon, Pargny-Filain, Chavignon, Anizy-le-Château ; York bivouaqua dans la région de Margival à Laffaux ; Biilow gardait la route de Soissons à Chauny, entre Cuffies et Terny.

C’était bien mal connaître Napoléon que de le croire capable de commettre la folie qu’eussent été, sous le feu de Blücher, le passage de l’Aisne et l’attaque du plateau sur le front Sud : le lecteur qui a bien voulu nous suivre tout à l’heure sur ces pentes comprend assez que, n’ayant qu’une petite armée, l’Empereur était doublement tenu, — tout comme César en 56, — d’éviter une opération qui, même heureuse, lui eût coûté les trois quarts de ses effectifs. Il ne songeait qu’à tourner le massif par l’Est : l’important était que Blücher n’eût pas incontinent étendu son armée à sa gauche jusqu’à Berry et Corbeny. Il retendait au contraire à sa droite, vers Vic, n’ayant fait garder le pont de Berry que par quelques régiments de Cosaques et deux canons. L’Empereur n’hésita plus à marcher de l’avant : Nansouty enlèverait le pont avec ses lanciers polonais et la cavalerie de la garde.