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prompte retraite vers l’Aisne, espérant passer sans encombre la rivière et tenir dans le massif. Napoléon entendait non seulement l’y suivre, mais, le débordant, l’y précéder et lui couper la retraite. C’est ainsi qu’un siècle avant que des circonstances pareilles amenassent pareil événement, une bataille de l’Aisne s’allait souder à une bataille de l’Ourcq[1].


Napoléon croyait tenir Blücher ; s’il parvenait à le gagner de vitesse, il lui fermerait le passage de l’Aisne. Cette victoire serait de la plus grande conséquence. Car, redevenu maître de la région de l’Aisne, l’Empereur, qui avait écrasé Blücher entre les maréchaux et lui, se trouverait en situation de recommencer la campagne en des conditions singulièrement plus favorables. S’étant jeté ainsi sur les communications de l’ennemi avec le Nord, il appellerait à lui les garnisons immobilisées dans les places des Ardennes et de la Moselle, se jetterait, avec une armée doublée, sur les derrières de Schwarzenberg à Saint-Dizier, le couperait, le chasserait, rétablirait totalement la situation. La reprise du massif de l’Aisne, après l’écrasement d’une des armées alliées, restaurait à coup sûr la fortune de l’Empereur avec celle de la France. Il fallait avant tout détruire Blücher.

Celui-ci ne pouvait passer l’Aisne que fort en amont de Soissons. La ville en effet avait été réoccupée, nous l’avons vu, par une petite troupe qui, si elle tenait bon, lui barrerait le passage, le forcerait à l’effectuer plus haut dans des conditions en tout état de cause très défectueuses, même si le feld-maréchal parvenait, ainsi qu’il y prétendait, vingt-quatre heures avant Napoléon au pont de Berry-au-Bac.

Il ne lui fallait pas, en ce cas, perdre une heure. Laissant Kleist sur l’Ourcq, pour masquer sa retraite à Marmont et le contenir, le feld-maréchal remontait promptement la vallée de l’Ourcq qui le menait à celle de la Vesle par où il aboutirait à l’Aisne. Mais, redoutant d’être acculé par Napoléon a une bataille rangée, il adressait appel sur appel à

  1. Au moment où la guerre survint, je venais d’étudier, pour trouver place dans une histoire de l’Empire, la campagne de 1814. Je ne renverrai pas aujourd’hui à mes sources, me contentant de dire que, en complétant le célèbre 1814 de Houssaye, aujourd’hui un peu vieilli, par l’ouvrage en quatre tomes du commandant Weil, La Campagne de 1814, écrit en 1892 d’après les archives de la guerre de Vienne, on a déjà sur la campagne un bien excellent ensemble.