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carte d’État-Major elle-même, s’il s’agit de Malmaison, — « en ruines. » La montagne de Laon n’est, pour Henry Houssaye, qu’une « immense redoute. » El si on lit le rapport du maréchal French de 1914, on semble le voir s’arrêter, en ces jours de septembre, frappé d’anxiété devant le mur qu’il va falloir réduire et qu’il décrit en termes si expressifs, ces « éperons et rentrants » de la falaise au-dessus de ce traître fleuve « sans gués, » aux ponts tous exposés au feu de l’ennemi, ces bois épais « semés sur les bords des pentes » qui sont de redoutables couverts, ces « positions masquées » par la nature elle-même, avant même que l’ennemi en ait aménagé les secrets réduits.

En réalité, c’est là le front presque inattaquable et il a fallu vraiment à nos soldats un héroïsme au-dessus de l’imagination pour avoir, en des journées célèbres de 1917, enlevé cette barrière de falaises. En fait, on pouvait penser jusque-là qu’on n’enlevait pas le front de l’Aisne, qu’on n’assaillait même pas le massif, mais qu’on le tournait. Ni César, ni Napoléon, ni Joffre ne paraissent avoir conçu le dessein de forcer une forteresse dont il reste dès lors à surprendre une des portes ou à déborder la masse. Et c’est, en effet, en forçant la porte Craonne que Napoléon put entrer en coin par l’Est, en forçant la porte Laffaux-Malmaison que nos soldats, en octobre 1917, firent sauter définitivement la résistance organisée par l’ennemi sur le Chemin des Dames.

Quant à négliger le massif, aucun chef de guerre prévoyant ne put jamais y songer. J’ai dit quel rôle il joue dans l’économie d’une grande bataille engagée des provinces du Nord à celle de l’Est. C’est, à dire vrai, le cœur de cet énorme tournoi.

C’est par sa bataille de l’Aisne que César a démoli l’énorme confédération de la Gaule Belgique ; et c’est devant Soissons que, triomphant de Syagrius, gouverneur pour Rome de la Gaule latinisée, Clovis, en 486, fonda son pouvoir. C’est en chassant de l’Aisne les derniers fils de Charlemagne, puis en renversant la féodalité de l’Aisne, dans une bataille d’un siècle, que les Capétiens devaient fonder et assurer la leur.

Car ce pays de l’Aisne, débordant de souvenirs historiques, est, plus même que tout le reste de l’Ile-de-France, la terre de la vieille histoire de France. « Nous sommes habitués, écrit Vidal La Blache, à faire pivoter notre histoire autour de Paris :