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plateaux le couvrent au Sud : double enceinte, entourée chacune d’un fossé profond, le fossé de l’Aisne qui enveloppe le mur extérieur, le fossé de l’Ailette qui sépare celui-ci de la seconde enceinte. Et si, à l’Est, la gigantesque forteresse s’élève à pic au-dessus de la plaine, du côté de l’Ouest, d’autre part, elle se couvre encore de la formidable et double ceinture de Saint-Gobain-Coucy et de Moulin-sous-Touvent-Carleponl-Tracy-le-Mont. Face au Sud, un double mur, haut parfois de près de 180 mètres, large, entre Soissons et Laon, de cinq lieues. Face à l’Ouest, une avancée non moins gigantesque qui semble, autant que le mur du Sud, défier l’assaut. Face à l’Est seulement, — Napoléon le devait comprendre qui s’y jettera vivement et les Allemands de 1914 qui la tiendront avec acharnement barrée, — une brèche au mur, la porte de l’Ailette entre Craonne et Berrieux, mais bien étroite poterne pour un château fort de cette importance. Par surcroit, des souterrains tels qu’une pareille forteresse en méritait : creuttes et boves naturelles que les eaux ont creusées, que les hommes ont élargies, quand ils ne songeaient qu’à tirer du sous-sol des millions de moellons, que d’autres ont aménagées pour s’en faire des abris secrets ou, — s’il s’agit des féodaux du XIIIe siècle, bien avant les Allemands du XXe, — un redoutable lacis de défenses.


II. — CHAMP DE BATAILLE DEUX FOIS MILLÉNAIRE

Voilà la forteresse. Toujours elle a été considérée comme redoutable. César n’osa l’attaquer de front et, la menaçant sur le flanc Est, la tourna par l’Ouest pour s’en rendre maître. La Monarchie de Paris ne se considérera comme solide que lorsqu’elle en aura démantelé, en paralysant les Coucy et les Roucy, les principaux bastions. Napoléon, lorsqu’il entendra soudain délivrer Paris des menaces que l’Europe coalisée suspendra sur sa capitale, pensera aussitôt à frapper là et, parce que finalement, il y échouera, perdra l’Empire. C’est parce que, s’étant fait assommer d’un seul coup à Sedan, la France ne pourra défendre le massif, qu’elle semblera impuissante à rétablir sa fortune. Et le génie militaire le comprendra si bien qu’il bâtira entre Soissons et Laon ces forts que malheureusement l’ennemi en août 1914 trouvera désarmés et, — d’après l’aveu de la