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plus médiocres de la rive gauche de l’Aisne, on aperçoit proprement se dresser une falaise marine. Il faut toujours, — Vidal La Blache suffirait à nous en convaincre, — pour expliquer le sol, ses aspects, les raisons de son histoire, « passer au déluge. » En fait, l’Ardenne émergeant seule, les plateaux actuels de l’Aisne ne se sont dégagés que bien plus tard, mais la falaise calcaire où se retrouvent tous les indices de l’origine sous-marine, — coquillages, squelettes de poissons, poches de phosphates, — a été, des siècles encore, battue par les flots. La paroi dessine tantôt des caps aigus, tantôt une muraille rigide que l’érosion seule a pu sur certains points briser. Au-dessus ou au flanc de ces falaises, des corniches courent, les balcons. Escaladant, — - dans les premiers jours de la bataille de 1917, — ces pentes, ces corniches, ces « balcons », je disais à un camarade : « C’est un champ de bataille perpendiculaire. » Cependant un palier inférieur parfois permet de faire étape dans l’ascension : c’est qu’au pied de la falaise, les sables se sont accumulés qui forment un premier étage élevé de 50 ou 60 mètres au-dessus du niveau de la rivière. C’est généralement sur cette banquette que, l’eau des plateaux s’y faisant jour, la végétation est luxuriante et c’est là encore que, à mi-côte, entre la vallée, qui est souvent marécageuse, et les plateaux plus âpres, se sont fondés les villages. Presque tous sont ainsi à flanc de montagne. Nos soldats le savent qui ont dû décomposer l’action et prendre la ligne des villages et des fermes à une étape, le faîte des plateaux à une autre. Quelques heures avant que, dans le tapage de la bataille du plateau, je gravisse ces pentes, nos hommes l’avaient fait sous les obus et la mitraille. Cet assaut avait emprunté à la nature abrupte des deux paliers un caractère prodigieux qui, à la vue des lieux, m’arrachait des cris d’admiration.

Aussi bien, la géologie qui a, là comme ailleurs, déterminé la physionomie de ces éperons, impose toutes ses conséquences. Ce sol si dur a été cependant travaillé par les eaux de telle façon que, à l’intérieur même du roc, des galeries naturelles se sont creusées. D’autre part, l’excellence de cette belle pierre blanche aux arêtes nettes a tenté les constructeurs : ces galeries naturelles ont été vite découvertes et agrandies par l’exploitation. D’où ces creuttes de l’Aisne, à tout jamais célèbres aujourd’hui, ces boves où la résistance allemande a trouvé de