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des phrases là-dessus, dont une moitié, au moins, serait à rabattre, chacun voyant dans les objets ses propres impressions, plutôt que les objets mêmes ; on a fait une Naples, un cap Misène, un golfe de Baïa à sa fantaisie : les beautés les plus réelles n’ont pas été assez distinguées du reste, et là, comme ailleurs, on s’est succédé, on s’est copié, on a été la gent moutonnière, on s’en est tenu au célèbre. N’allez pas me croire toutefois désappointé ; plus on vivrait ici, moins on le serait. Ce sont des beautés de nature, et celles-là sont de plus en plus profondes et variées, dans l’habitude même.

« Si rien ne m’a paru plus triste et plus désolé que Baïa, rien ne m’a paru, plus enchanté et plus délicieux que Sorrente. Je resterais volontiers ici encore quelque temps, pour compléter mes excursions, et me reposer dans une société fort aimable qu’on y rencontre, mais le mot des choses est un peu trop court pour cela…

« Tenez-moi au courant de la Revue et de sa fortune en deux mots : je suis en arrière de tout, et le moins que vous me direz sera une grande lumière sur l’état où vous êtes pour le quart d’heure. Je n’ai pas encore travaillé à proprement parler : avec les journées de voyageur, c’est impossible, — j’écris quelques notes ; pour tirer parti de tout cela, il faudrait disposer d’une quinzaine quelque part, et ce serait sans doute à Lausanne seulement. Mon séjour à Rome sera court : ce que j’ai voulu en venant, c’est surtout reconnaître les lieux et jeter le premier coup d’œil qui n’est pas si trompeur, quand on ne le croit pas trop profond.

« Je sais combien Mme Buloz a de bontés pour ma mère ; remerciez-la, et offrez-lui mes respectueuses amitiés. Je voudrais donner un bonbon à Paul, mais il attendra mon retour. — Amitiés à nos amis Labitte, Lerminier, Bonnaire, Marinier, le fidèle Gerdès. »

Concernant son beau voyage, ce pèlerin n’est guère lyrique ! et ne semble-t-il pas apporter ici quelque méfiance ? Il ne veut pas être dupe de l’enthousiasme général… il trouve, — et en cela il demeure encore critique, — que Naples a été trop chantée, trop vantée ; il semble qu’il dirait volontiers de l’admiration pour Naples, ce que La Rochefoucauld disait de l’amour : « Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux, s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour… » et il se garde.