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dans toutes mes minutes ; mais j’y gagnerai d’amples matériaux d’où je vous tirerai plus tard plus d’un article… »

A Lausanne, Sainte-Beuve, avec ses trois cours par semaine et son travail — « toutes ses leçons étaient écrites dans l’intervalle d’une séance à l’autre », était absorbé, fatigué— et d’autant plus que la voix souvent lui manquait ; il écrivait sur ses feuilles volantes : « Je n’ai pas de poumons, je n’ai pas de mémoire, rien de l’orateur ! » Il travaillait à l’hôtel, chaque jour assidûment jusqu’à quatre heures, — trois heures les jours de cours. Après le diner, il reprenait son travail de recherches et de rédaction « jusqu’à ce que le sommeil le prit. »

Sauf une légère opposition de quelques esprits malveillants au début, le cours sur Port-Royal fut goûté, les relations de Sainte-Beuve avec les Juste Olivier devinrent, pendant ce séjour, plus étroites, et celles qu’il forma avec Vinet, Espérandieu, Lèbre, qu’il amena a la Revue, lui furent un attrait. D’ailleurs, au pays de Vaud Sainte-Beuve demeura fidèle. Combien de fois dans ses lettres aux Olivier ces noms reparaissent-ils : Aigle, le Léman, Rovéréa !…


Étrange est la musique aux derniers soirs d’automne
Quand vers Rovéréa, solitaire j’entends
Craquer l’orme noueux et mugir les autans[1]


Sainte-Beuve affirmait (le 1er décembre) : « Je travaille beaucoup, mais sans pouvoir me distraire de l’unique objet ; je vous reviendrai avec force matière sur toutes choses… » Puis il aborde un sujet qui visiblement le préoccupe — et c’est le passage de Cousin à Lausanne ; il redoute le terrible homme. Déjà il avait prévenu les Olivier ; « vous avez en ce moment en Suisse un de mes amis voyageurs que je redoute un peu : Cousin[2]. » Il écrit à F. Buloz :

« J’ai appris à n’en pas douter que M. Cousin, dans son passage ici, avait dit de ces petits mots sur mon compte faits pour me desservir ; mais il n’y a pas réussi. Je ne serais pas fâché qu’il sut que je le sais. C’est un grand esprit mais une âme de laquais et de boue. Enfin, cela ne m’a pas étonné ; car apprenant de Paris qu’il était à Lausanne, j’avais à l’instant écrit à mes amis pour leur dire de prendre garde, et qu’il

  1. Correspondance avec M. et Mme J. Olivier, p. 71.
  2. 26 septembre 1837. ibid.