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Quel autre nom donner à ces embryons d’images flottant sur une mare de mots ? » Le style de Sainte-Beuve est « intolérable : la langue y est constamment outragée. Ses poésies m’ont toujours paru être traduites d’une langue étrangère par quelqu’un qui ne connaîtrait cette langue qu’imparfaitement. Nous devons cet auteur à la crasse ignorance du Suisse qui possède le recueil où Sa Candeur M. Sainte-Beuve s’est tranquillement livré à ses excès. » Telles sont les vengeances de Balzac. Se souvient-on qu’à la mort du romancier, Sainte-Beuve écrivit sur l’ensemble de son œuvre un article du ton le plus mesuré, où le jugement est excellent ? On y trouve cette note : « Voir dans la Revue parisienne de M. de Balzac l’article qui me concerne. Si je l’ai oublié, qu’on sache bien que je ne crains pas que d’autres s’en souviennent. De pareils jugements ne jugent dans l’avenir que ceux qui les ont portés… »


On a vu plus haut la part que Sainte-Beuve prenait aux succès et aussi aux difficultés de la Revue des Deux Mondes. Malgré son labeur, il se tient au courant de tout ce qui s’y passe : les inquiétudes de M. Buloz sont les siennes, et s’il critique souvent son directeur, plus souvent il l’admire…

Mais cette admiration, souvent manifestée, et une fidélité de dix ans, n’empêchèrent pas les brouilles ; avec la Revue il y en eut, certes, et je pense que Planche fut l’auteur d’une des premières, avec son article sur les Pensées d’Août.[1]Sainte-Beuve le jugea sévère à son endroit il se froissa — (et en vérité comme ces auteurs étaient susceptibilités ! ) Il se froissa surtout de la fin de l’article, car Planche reprochait au poète son manque de clarté, mais après des louanges délicates, qui auraient dû lui plaire (d’ailleurs ce livre n’est pas son meilleur livre, il s’en faut). Ceci se passait en octobre 1837, époque où Sainte-Beuve se préparait à partir pour Lausanne, et à y faire son cours sur Port-Royal… À la suite de l’article de Planche, Sainte-Beuve boudera la Revue, ne lui donnera pas la chronique sur les Mémoires de La Fayette qu’il devait publier avant son départ, et il écrira à F. Buloz[2] :

  1. Voyez, cet article, dans la Revue du 1er octobre 1837.
  2. Cette lettre ne porte aucune date. Mais elle doit être située entre l’article de Planche, 1er octobre, et le départ pour Lausanne, 15 octobre, donc vers le 8.