Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/577

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

septembre 1846, j’ai achevé la lecture des lettres de Rancé, et j’ai traduit une idylle (la quatrième) de Théocrite, Croisons nos plaisirs. »

Un peu plus loin l’étudiant de seize ans écrit :

« Je me rappelle toujours avec un nouveau plaisir cet hymne à l’hyménée, et ce vers enchanteur :

Nulli illum pueri, nullæ optavere puellæ.
Saxea effigies Bacchantis. »

Voltaire occupe beaucoup le jeune Sainte-Beuve, et nombreuses sont les citations qu’il fait de ses œuvres ; Œdipe, Adélaïde du Guesclin, Alzire, Zaïre, le Fanatisme, Mérope.

D’Alzire, il a noté ces quatre vers :

Des dieux que nous servons connais la différence :
Les tiens t’ont commandé le meurtre, la vengeance,
Et les miens, quand ton bras vient de m’assassiner,
M’ordonnent de te plaindre et de te pardonner…

Non seulement il lit beaucoup, ce qui n’est rien, mais il retient admirablement ce qu’il lit, s’en souvient à propos, compare les auteurs entre eux, fait des rapprochements, les oppositions lui sautent aux yeux. Ainsi il transcrit :

Cicéron qui d’un traître a nourri l’insolence
Ne sert la liberté que par son éloquence,
Hardi dans le Sénat, faible dans le danger,
Fait pour haranguer Rome et non pour la venger,
Laissons à l’orateur qui charme la patrie
Le soin de nous louer quand nous l’aurons servie.

Les vers sont médiocres, et ce n’est pas pour leur beauté que le jeune Sainte-Beuve a noté ce passage, car après l’avoir noté, il ajoute : « Rapprocher de cela ce qu’en dit Shakspeare dans Jules César[1]. »

De même pour Rousseau ; il cite ce passage sur le printemps : « Au printemps la campagne presque nue n’est encore couverte de rien, ne fait que poindre, et le cœur est touché à son

  1. Brutus. — Ne parlons pas de lui (de Cicéron)… il n’exécutera jamais un projet que d’autres ont conçu.
    Cassius. — Laissons-le en dehors. Casca. — En vérité, il est indigne (Jules César, acte II, scène I).