Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/519

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute heure, les voitures s’arrêtent à sa porte ou s’engouffrent sous sa voûte ; il lui faut tenir toujours prêts son sourire avenant et des repas chauds. Des Anglais, en novembre 1184, décident de courir la poste sans désemparer ; le premier jour on n’a pas diné, et, dans la nuit, l’appétit réclame compensation. Un relais. Où est-on ? À Arnay-le-Duc. Quelle heure ? Une heure du matin. « On réveilla le maître de poste et sa fille, qui nous introduisirent dans la cuisine ; là, j’aidai de mon mieux la jeune fille à confectionner une omelette, à griller des côtelettes de mouton et à rôtir un canard ; puis, assis autour du feu, nous fîmes un repas des plus amusants[1]. » À Villeneuve-le-Roi, à cinq heures de l’après-midi, tandis qu’on change les chevaux ; les voyageurs, dans la cuisine, se restaurent « d’un délectable pot-au-feu. » À Moret, après un excellent café au lait, l’hôtesse empressée met dans la voiture « un pot de confitures d’abricots de sa façon ; » ailleurs, « à la suite d’un succulent dîner dans une salle très modeste, et la note acquittée, la maîtresse de l’auberge les presse d’accepter des pêches magnifiques pour qu’ils se rafraîchissent durant la route. » Et à ces passants succèdent d’autres passants : pas d’heures pour les repas, point de table d’hôte ; et c’est miracle de trouver en ces villages isolés, à tous instants de la journée et de la nuit, pareille abondance improvisée, poissons frais, gibier à point, fruits savoureux, laitages candides et volailles grasses ; et c’est miracle plus grand encore de rencontrer chez ces hôtelières, à qui ne sont permis ni sommeil, ni loisir, ni repos, de si infatigables prévenances, une si affable activité. L’une est « une enfant de seize ans, qui est partout et qui mène merveilleusement cette grosse machine, tout en touchant, par moments, du piano[2] ; » une autre « s’occupe de tout et trouve encore le temps de filer elle-même tout le linge de la maison[3] : » femmes de France, incomparables, prodiges d’adaptation, de résistance et d’aménité !

Le domaine de l’hôtelière est sa cuisine ; c’est là aussi le cœur de l’auberge : on s’y réunit, on s’y tient, on y mange, on y vient aux nouvelles, on y discute le trajet à effectuer, la route à suivre, le nombre de chevaux imposé ou indispensable. Des

  1. La Vie française à la veille de la Révolution. Journal de Mme Cradock, 95-96.
  2. V. Hugo. Le Rhin, loc. cit.
  3. Cradock, 242.