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grand porche, une vaste cour encombrée de voitures et des écuries profondes où s’alignent devant les râteliers, sur la paille fraîche, trente ou quarante chevaux, — de ces robustes chevaux de poste à lourde queue, à longue crinière, aux pieds pattus[1]. Rien à l’intérieur de l’auberge ne vise à l’apparat : s’il y a une salle à manger, ce qui n’est pas commun, sauf dans les villes, elle est des plus modestes ; les chambres à coucher sont ordinairement, en revanche, d’un luxe sérieux, tendues le plus souvent de tapisseries, parfois même d’étoffes plus somptueuses : à l’hôtel Gallère, à Blois, sur le quai de la Loire, en aval du pont, Mme Cradock est logée, en 1786, dans un appartement dont « les portes, les fenêtres et le plancher sont d’une chaumière, mais dont les murs sont couverts d’un brocart ancien tissé de soie et d’argent ; le sofa est de velours vert, richement brodé[2]. » Partout les pièces sont vastes : à Rochefort, dans l’hôtel du Grand Bazar, pas une chambre ne contient moins de quatre lits ; dans l’auberge d’un petit village de Vendée, la pièce la plus exiguë contient trois lits et elle est de telles dimensions qu’on y peut sans embarras dresser, en outre, une table pour de nombreux convives[3]. Car c’est une habitude dont nul ne s’offusque : on partage la chambre, voire le lit d’un inconnu. Quelquefois on est gîté dans un dortoir : à Toulouse, au Griffon d’or, en 1784, sept « messieurs » couchent dans la même chambre. Encore est-on entre hommes ; mais quand le hasard ou l’affluence oblige à l’empilement, il se joue des scènes étranges : Mme de Nouaillé arrive à Niort et descend dans une hôtellerie fort encombrée, au moment même où s’y présente un jeune homme nommé Patrot ; les gens mettent les hardes du voyageur et de la dame sur l’unique lit demeuré libre. Cela fit contestation. Patrot dit : — « Je coucherai dans ce lit-là. — Je ne dis pas que vous n’y coucherez point, riposte Mme de Nouaillé, mais j’y coucherai aussi. » Par point d’honneur et, pour ne pas céder, ils y couchèrent tous les deux[4]. Tard, dans le XIXe siècle, il y avait encore des auberges et non des moindres ou, sans gêne ni protestation, on faisait chambre

  1. Lettres du docteur Rigby, p. 8.
  2. Cradock, 293.
  3. Idem, 245.
  4. Comment on voyageait autrefois, par H. de Gallier. La Revue, 15 septembre 1907.