Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/516

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avaient conquise ; comme elles ont porté loin le renom de l’hospitalité française, des accueillantes et expertes ménagères de chez nous et de la cuisine abondante et délicate, monopole de notre pays ! C’est merveille de suivre, à travers les âges, leurs transformations et leurs efforts vers l’idéal du genre, idéal qui n’est point, comme on l’imagine à présent, d’offrir au passant l’abri d’un simili-palais où s’impose une étiquette d’apparente et banale élégance, mais, bien au contraire, de suggérer au voyageur, à force de cordialité et de prévenances, qu’il a retrouvé son chez soi, ou, tout au moins, qu’il est personnellement l’objet d’attentions particulières.

Si l’on écrit un jour l’histoire, déjà tentée, des auberges françaises, on constatera que tel était le but vers lequel tendait, depuis l’origine, l’ingéniosité des hôteliers et plus spécialement celle des hôtelières. D’abord leurs maisons furent des lieux de refuge, presque des abris de charité où seuls fréquentaient les nomades douteux, trop peu recommandables pour se permettre de frapper à la porte d’un monastère ou d’un château, ménétriers, pardonneurs ou marchands de reliques, joueurs de dés, jongleurs, trouvères et autres « malandrins[1]. » Promiscuité louche et lieux si peu sûrs que, dès le début du XVe siècle, l’autorité imposa aux tenanciers l’obligation du registre d’entrée et de sortie. Cette formalité, toujours en vigueur, est l’une de nos plus vieilles institutions : elle date de 1407 ; elle eut pour heureux effet de former aux hôteliers une clientèle et de distinguer les maisons honnêtes des bouges mal famés Dès Henri IV, il y avait dans nos provinces des auberges où l’on fréquentait, sinon par plaisir, du moins en sécurité et, dans le cours du XVIIe siècle, l’hospitalité s’y manifeste à ce point accueillante qu’elle y devient quelque peu suspecte.

À l’époque dont nous cherchons à fixer quelques traits, c’est-à-dire dans les cinquante années qui précédèrent le premier établissement des chemins de fer, l’auberge de France est respectable comme un lieu familial ; on y est accueilli non en étranger, presque en ami. L’hôtellerie est habituellement au relais, le plus souvent dans la maison de poste ; ce n’est point une construction babylonienne à balcons et à dômes, mais une bonne maison campagnarde, avec un banc près de la porte, une enseigne pendue à un bras de fer ouvragé, un

  1. Comment on voyageait autrefois, par H. de Gallier, La Revue, 1er juin 1907.