Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/513

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par un cheval, vous prend là le lendemain et vous dépose à Angers vers la fin du jour[1]. Rien de plus variable et de plus varié qu’un itinéraire de ce temps-là : chacun suit sa fantaisie. Sans qu’il soit permis de généraliser l’expédient très économique du pastelliste Latour qui, lorsqu’il voulait voyager, gagnait le bord de l’eau, se déshabillait complètement et, accroché à l’arrière d’un chaland, se laissait flotter jusqu’au point où il prenait pied, à moins que, pour changer de direction, il ne s’amarrât à quelque autre bateau[2], il paraît bien qu’on usait, la plupart du temps, d’une diversité de moyens de locomotion tout à fait récréative : pour aller de Paris au Havre, par exemple, deux jeunes gens, en 1787, se gardent de prendre la Turgotine, trop banale et trop rapide au gré de leur curiosité : ils partent à pied, par Marly et Saint-Germain, arrivent à Poissy, s’y embarquent sur la galiote qui les descend à Rolleboise, vont à pied jusqu’à Bonnières, y dorment quelques heures ; à l’aube, ils prennent place sur le coche d’eau, le quittent au route, louent deux mazettes (bidets de poste) qui les portent au port Saint-Ouen, laissent là leurs montures et arrivent en barque à Rouen. Une autre galiote les conduit à la Bouille, d’où ils gagnent, à cheval, Pont-Audemer, puis Honfleur où ils s’embarquent pour le Havre[3].

La palache desservant Corbeil, — le Corbillard, — est d’allure si retenue que l’on a donné son nom aux chars funèbres qui portent les morts vers le cimetière, au petit pas des chevaux empanachés ; et si l’on fait usage des coches d’eau qui remontent la Seine et l’Yonne jusqu’à Auxerre et descendent la Saône et le Rhône de Chalon à Avignon, il convient de s’armer d’une sérénité angélique en désaccord apparent avec la traditionnelle impétuosité du tempérament français. Le coche d’Auxerre a son port d’attache au quai Saint-Paul : c’est « une arche immense, toute pleine, à l’arrivée, de raisiné, de futailles et de nourrices. » Les passagers s’entassent sur le pont, ou, moyennant un supplément de prix, s’abritent dans « la cabane, » assis sur des sacs de laine ou de coton filé. — « En jetant les yeux sur le toit du bateau, il me sembla voir les restes mourants des Troyens fugitifs, » écrit un ecclésiastique

  1. Mémoires d’un Royaliste, par de Falloux, 1-16.
  2. Mémoires de Mme de Genlis.
  3. La vie parisienne sous Louis XVI.