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nom : il n’y a pas de route en France qui soit plus parcourue, plus vantée, plus fameuse ; il n’y en a pas de plus belle, de plus facile, de plus douce, de mieux entretenue, — une allée de parc, — et les paysages « épouvantables » et « affreux, » qu’elle domine ou qu’elle contourne, si attristants et repoussants au dire de nos pères, paraissent à nos yeux d’à présent les plus enchanteurs et les plus merveilleux qui soient au monde.


Une si complète modification des impressions optiques n’est pas aisément explicable. D’où provenait la répugnance unanime que témoignèrent les touristes d’autrefois pour les régions montagneuses ou d’aspect sauvage ? Des peines dont il leur fallait payer le plaisir de les contempler ? — Non point : ces peines mêmes sont un attrait ajouté au plaisir de l’excursion et dont s’amplifieront largement les relations qu’on en infligera aux sédentaires. — Nos pères étaient-ils à ce point férus de sage ordonnance, de mesure, de symétrie qu’ils appliquaient ce goût inné aux beautés naturelles et n’appréciaient point en elles les apparences indisciplinées et chaotiques ? Qu’ils aimassent la campagne, cela ne peut être mis en question ; mais ils la voulaient proprette, peignée, reposante et productive. Sans parler des châteaux, les maisons bourgeoises de la fin du XVIIIe siècle abondent aux environs de Paris : toutes sont des modèles de simplicité, de disposition et d’aménagement. Point d’ostentation ni d’étalage : sur la rue du village une rustique porte charretière entre deux pilastres qu’enguirlande-une glycine ou que couronne un lierre ; les vantaux pleins découragent l’indiscrétion ou la curiosité des passants ; c’est presque l’entrée d’un couvent ou celle d’une ferme et il faut pénétrer dans la propriété pour s’aviser qu’elle est un lieu de plaisance. La maison est grande, orientée savamment à l’Est et au couchant de manière à ne rien perdre des rayons du soleil. Les pièces sont vastes et, le plus souvent, prennent jour sur les deux faces ; tout est riant, clair, attachant, intime. On peut vivre sans sortir de chez soi : il y a un puits dans la cour ; l’écurie du cheval, la remise, l’étable, le bûcher sont dans les communs ; le potager, de bonnes dimensions, se termine par une carpière ; dans le verger pâturent deux ou trois vaches, et il y a toujours une charmille bien taillée où l’on peut lire à l’ombre et dîner au frais.