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conditions du secrétaire d’État et celles de l’État-major, et celles des Junkers, ou industriels de Westphalie, ou agrariens de Poméranie, telles, par exemple, que les a formulées dernièrement un descendant ou un parent d’un autre militaire illustre, membre de la Chambre des Seigneurs, M. de Roon, qui avale le globe d’une bouchée, quoi de commun? Le jeu ; car ce n’est qu’un jeu, et c’est un vieux jeu : « L’Empereur fait comme il a coutume, de guerre en guerre et de pratique en pratique, » écrivait à Machiavel l’ambassadeur florentin Francesco Vettori, le 20 août 1513. C’est toujours le même système, qu’on a, d’une expression familière, mais pittoresque, appelé le système de la « douche écossaise. » Alternatives de chaud et de froid, de brutalité et d’hypocrisie, de rapacité et de feint désintéressement. Quoi de commun encore? Le but : ronger l’Entente pour la dissoudre; la secouer pour la disloquer. Faire à l’un les gros yeux, à l’autre les yeux doux; offrir à l’un de laisser l’Allemagne se payer aux dépens de l’autre, et, si quelqu’un tombait dans le piège, gorger l’Allemagne aux dépens de tous. Dans le discours de M. de Kühlmann, la face féroce était tournée contre la Russie, les attentions étaient pour l’Angleterre, nommément pour M. Asquith. Le jeu aurait réussi et l’Allemagne toucherait à son but, si, ayant réduit la Russie en décomposition par empoisonnement, elle obtenait de l’Entente que, sur l’appât d’une paix soi-disant tempérée, elle lui en abandonnât les débris. L’ancienne politique a consisté longtemps à empêcher qu’il ne se formât auprès de soi une unité nationale qui pût devenir redoutable ; la nouvelle consisterait à empêcher qu’il n’en subsistât une qui pût gêner et arrêter en faisant équilibre. « Offensive de paix, » certainement, quoique M. de Kühlmann en maugrée. Nous ne nous lasserons pas de redire que la seule réponse est le silence. M. de Kühlmann lui-même nous le facilite, par la remarque parfaitement juste que tout échange d’idées suppose, « comme condition préalable, qu’on ait une certaine dose de confiance dans l’honnêteté et l’esprit chevaleresque réciproques. » L’honnêteté de l’Allemagne qui, en août 1914, a envahi la Belgique au cri : « Nécessité n’a pas de loi; » 1’esprît chevaleresque de l’Allemagne qui, en juin 1918, sans le moindre intérêt militaire, et au plus grand dégoût de toute conscience saine, s’obstine à torpiller les navires-hôpitaux ; cette « condition préalable » est la condition impossible. Et le trait serait d’un assez bon comique, si nous n’étions pas plongés dans le plus noir et le plus rouge des drames, où il n’y a pas de place pour le sourire.

La seule réponse, non, n’est point le silence. Il faut l’action;