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fille, c’est un mélange d’ingénuité et d’amertume ; et c’est précisément ce que Mlle Rouer a compris et traduit de façon remarquable.

Mlle Rouer est, comme on dit, une nature, et elle a beaucoup de distinction. Mlle Roseraie est non moins une nature, et elle n’a aucune distinction ; même elle en manque totalement, à un degré qui devient un mérite et une originalité. Elle est faite pour interpréter ces rôles de franchise toute ronde et de vulgarité généreuse, que les auteurs dramatiques se plaisent à camper au milieu des complications et des défaillances de nos sociétés trop civilisées. Le type en est Mme Guichard dans Monsieur Alphonse. Un autre est Mme Georges dans Par droit de conquête, une pièce bien oubliée de Legouvé. Mlle Roseraie a interprété devant nous des fragments de ces deux rôles. Elle est peuple. Au théâtre, il est convenu que le peuple est toute bonté, qu’il a de mauvaises manières et bon cœur et ce cœur toujours sur la main. Mlle Roseraie a été créée et mise au monde pour incarner cette fiction de théâtre. Elle serait encore une excellente Mme Sans-Gêne. Et puis, si elle réussit, on lui fera des rôles.

Dans tout le répertoire, je ne connais guère de type plus difficile à personnifier que celui de Célimène. Songez à tout ce que réunit en elle cette jeune veuve : outre la jeunesse, c’est la beauté et l’esprit, avec une fleur d’aristocratie. Elle ne se contente pas d’être coquette, elle est grande coquette. Cette grande coquetterie est l’écueil : ces grands airs auxquels se sont guindées beaucoup d’aimables comédiennes leur ont fait perdre toute aisance et toute grâce. Ce dont je loue surtout Mlle Delannoy, c’est de la liberté de son jeu. Elle a été une Célimène spirituelle et hautaine, heureuse de vivre, et qui respire avec délices cette atmosphère de compliments et de galanterie où s’épanouissent tous ses dons d’incomparable mondaine.

Mlle Diétry a montré sous les traits de Bélise de réelles qualités de comique. J’ai noté encore une agréable Agnès, Mlle Marciac, et Mlle Caillot qui, dans le rôle de Margot, de Meilhac, a eu de la sensibilité, de l’espièglerie, de la grâce. Et je m’aperçois que je n’ai cité que des femmes. C’est que les concurrents hommes n’ont pas été excellents ; et c’est plus qu’excusable, une année où la plupart de ceux qui pouvaient concourir sont au front, et où tel des concurrents est un combattant ou même un blessé d’hier. Je n’ai pas trouvé que M. Coulant ait fait assez chanter les vers de l’Amour dans Psyché, ni que M. Escande ait eu dans Fantasio assez de fantaisie. Je me hâte d’ajouter que le rôle de Fantasio est un de ceux où il est presque impossible de réussir, parce que c’est moins un rôle qu’une longue