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Jules Lemaitre et qu’il avait merveilleusement fait ressortir dans d’inoubliables feuilletons. Comme il arrive, rien qu’en enlevant une pierre on avait ébranlé tout l’édifice. Cependant à tous les degrés et-dans toutes les catégories d’enseignement se poursuivait une campagne, que nous connaissons bien, et qui avait pour objet de niveler tout ce qui dépasse, d’éteindre tout ce qui brille et de répandre partout une même teinte de médiocrité et de grisaille. Au Conservatoire, l’esprit de réforme s’attaqua d’abord aux concours publics ; il en fit ce qu’ils sont devenus : l’ombre d’eux-mêmes.

Rue de Madrid, les concours se donnent dans une longue salle, toute en longueur, aux murs nus et froids. Par les fenêtres, ouvrant sur la rue, entrent le jour et les bruits du dehors : l’une d’elles, où sont demeurés des vitraux mélancoliques, nous rappelle que c’est ici une chapelle désaffectée. Pas de loges, pas de balcons, mais des rangées de fauteuils sur un plan incliné descendant jusqu’à une table recouverte d’un tapis vert : les membres du jury s’y aligneront tout à l’heure, et nous aurons, entre les concurrents et nous, la rangée solennelle de leurs dos importants. Sur des tréteaux, une scène est ménagée dans le fond obscur de la salle : une boiserie tapissée de vert forme coulisses. Quand il n’y aura pas moyen de faire autrement, on apportera deux chaises de paille, une table de bois blanc et même un canapé verdâtre : c’est tout le mobilier de l’établissement. Soudain une rampe et deux lustres s’allument : maintenant leur lumière factice va lutter avec la lumière naturelle que ne masque nul rideau. C’est dans ce faux jour que nous verrons les jeunes gens s’agiter… oh ! s’agiter sagement, posément, froidement… et on ne peut leur en vouloir, dans un tel cadre et dans une telle atmosphère ! Bien entendu, les quelques auditeurs conviés à la cérémonie ont la consigne de ne pas bouger, de ne manifester ni approbation ni désapprobation. Ils s’y conforment scrupuleusement, ne se grouillent en aucune manière, et rien n’indique qu’ils soient morts ou vifs. Les répliques tombent dans un silence de glace. Il y a de quoi figer les emportements les plus tumultueux et geler les plus brûlantes ardeurs.

A vrai dire, ce n’est pas ici un théâtre, mais une salle de classe. On l’a voulu ainsi ; on l’a fait exprès ; on a tout combiné pour que l’épreuve eût nettement un caractère scolaire. Nous sommes au collège, un jour de composition de récitation. Le but est que l’épreuve n’ait par elle-même aucune valeur ; il ne faut pas qu’elle existe en soi et par soi : elle ne doit être que le dernier exercice de l’année, la dernière classe, la suprême colle. C’est moins que l’actuel