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comme il a évolué dans l’humanité au cours de son histoire. Notre vie morale inscrit en raccourci sur sa courbe toute celle des générations qui nous ont précédés. Ne nous dit-on pas que notre développement physique dans les entrailles maternelles répond jour par jour aux étapes successives du règne animal ?

Mais, malgré l’évolution, le sentiment mystique de la terre persiste toujours. Il se confond avec la forme dominante de la pensée religieuse et parfois ne fut pas étranger à sa détermination. Il en suit les fluctuations et partage les destinées. Très puissant aux époques de foi vive, il se traduit alors par une foule de pratiques qui portent la marque des dogmes acceptés. Sous la couche épaisse du christianisme, qui le recouvre chez nous, on distingue la trace des imprégnations antérieures. Le curé, qui bénit le feu de la Saint-Jean, bénit un feu païen, et, le soir du solstice d’été, devient grand prêtre du soleil. Joignez à cela que la vie de la terre est une source jaillissante d’émotions poétiques et il n’y a pas de vraie poésie sans mysticisme : le poète est un inspiré, que le souffle intérieur emporte au-delà du plan visible des choses, si bien que pour exprimer son âme il a recours à certains artifices, où le choix, la richesse, l’arrangement sonore des mots forcent le verbe à dépasser son sens clair. Quand la religion perd de son empire, l’âme paysanne, dont une des racines se nourrit mal, s’appauvrit visiblement et du même coup la vocation des jeunes devient languissante et incertaine. Une population agricole, qui cesse d’être religieuse, est ébranlée sur ses sillons, et, au moindre incident, prête à les quitter. La religion est l’amie de la terre. La raison doit prendre les faits tels qu’ils sont et non pas tels que parfois elle voudrait qu’ils fussent. L’observation rigoureuse des faits est une servitude étroite de l’esprit, qui se rachète par une vraie grandeur, celle de la vérité.

Mais notre servitude à l’égard des faits ne doit pas nous ôter l’ambition de les expliquer. Dans le coin rural, où nous vivons, trois phénomènes sociaux sont très apparents, qu’on retrouve un peu partout, en France et ailleurs, à des degrés divers : la diminution du sentiment religieux, l’abaissement de la natalité, l’abandon de la terre. Ils sont concomitants d’un autre, plus général, universel, de première grandeur, le progrès de la civilisation. Ce dernier fait peut-il se relier aux trois autres ? Le rapport existe en effet, précis, direct ; mais il faut le chercher