Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/434

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

subconscientes de notre pensée, qu’on appelle encore subliminales, où se conserve ce qu’il y a de plus primitif et de plus permanent en nous. Elle y plonge par trois racines principales sur lesquelles il importe d’arrêter notre attention.


On ne comprend pas l’âme paysanne si l’on ne connaît le rôle et l’importance de la subconscience dans notre activité psychique. Le moment est bien choisi pour en parler, puisque la guerre, comme tous les grands chocs, nous la découvre. C’est la partie du moi, qui se dérobe à notre connaissance directe et cependant nous conduit : l’oracle de Delphes n’en détachait pas ses yeux, quand il donnait aux pèlerins son invariable réponse. Quelques-uns, il est vrai, prétendent qu’elle n’existe pas ; ils sont rares. L’opinion commune ne doute pas de sa riche réalité. Mais pour les uns tout y est bon, pour les autres tout mauvais. En vérité, les deux s’y rencontrent et s’y mêlent, le bien l’emportant sur le mal. Cette supériorité des forces positives dans la subconscience nous est attestée par le succès quotidien de notre vie morale individuelle et collective, qui plus qu’on ne pense repose sur elle. Nous tenons le coup chaque jour dans une partie, dont la moitié seulement se joue sur la table, au grand jour, l’autre se poursuivant dessous et dans l’ombre. Il n’est pas rare que la partie visible nous montre perdants, et nous le serions en effet, si nous n’étions relevés par ailleurs. Les Allemands n’ont vu de nous que la partie qui se jouait sur la table, attentifs aux incidents extérieurs du jeu, livres, journaux, théâtres, intrigues politiques, scandales mondains et financiers, procès célèbres. Ils nous ont crus perdus, et ce fut leur plus grande erreur psychologique. Ils comptaient sans les réserves cachées de l’âme profonde. Bien d’autres parmi nous n’y croyaient pas davantage, et plus d’une fois ont souri quand on leur en parlait. Pourtant nous leur devons le salut.

La bataille de la Marne restera comme un des événements les plus solennels de l’histoire et peut-être la victoire la plus surprenante qu’on ait jamais vue : militaires, historiens, philosophes s’efforceront à l’expliquer et ont déjà commencé. Toutes les explications, quelle qu’en soit la valeur, se devront ordonner sur celle-ci, générale et irrécusable que la victoire a été rendue