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d’ailleurs grossière, et où l’on sent le mécanisme. L’admiration reste très haute et très pure, non par son objet, qui peut être bas, mais par son essence, noble privilège du cœur humain.

L’admiration est une des choses les plus extraordinaires qu’il y ait en nous : par elle nous sortons de notre égoïsme, nous nous plaisons à un sentiment, très voisin de la fierté, auquel pourtant le moi reste étranger, ce qui est presque une antinomie, et nous recevons en échange un accroissement de nous-mêmes, une vraie richesse. L’admiration commande notre éducabilité. Le maître augure mal du disciple qui craint d’admirer, refusant d’ouvrir ses ailes. Elle est dans l’homme à la racine de deux choses, la plus douce qu’il puisse ressentir, la plus belle qu’il puisse faire : l’amour et le sacrifice.

Pour le moment, cette même analyse nous montre la vocation du jeune paysan tout entière dans une simple et touchante candeur d’enthousiasme débordant, par cela même délicate et fragile, exposée a mille dangers, dont le premier est la rencontre d’une admiration nouvelle qui chassera l’autre pour prendre sa place.

Chaque matin cette vocation passe devant ma porte, fraîche, rieuse, charmante, un sac de toile bleue en bandoulière, où le déjeuner dispute la place aux livres, sautant à cloche-pied les gondoles de l’accotement, guignant les nids sur les arbres. On tremble pour elle. Elle va droit au pays des dangers. L’école est ce pays parce qu’il est celui des merveilles. L’école découvre à l’enfant le spectacle merveilleux de l’univers. L’imagination s’élance et voici de nouveaux rivages. Chacun d’eux peut retenir le voyageur sous son charme. Adieu les bœufs, les champs et les moissons ! De fait, la jeune vocation paysanne se ruine chaque jour à l’école, malgré les soins dont elle y est entourée. Le dévouement de l’école n’est pas douteux. Les directions venues d’en haut ne manquent pas, ni les circulaires bien pensées et bien écrites, ni les ressources et moyens techniques, ni l’application et le zèle des maîtres. Le succès ne répond pas à l’effort. C’est donc que la méthode doit être défectueuse. Elle l’est en effet, faute de bien connaître la nature intime et profonde de l’âme paysanne.

C’est une très vieille chose que l’âme paysanne et qui très lentement évolue : une évolution rapide risquerait de la dissoudre. Sa vieillesse s’entretient dans les régions