Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/429

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme le témoignage que désiraient les États-Unis de la pensée et de la volonté de la Russie ? Si le malheur des temps a fait que c’est à l’extrémité de l’Asie et dans une ville étrangère, bien qu’alliée aujourd’hui, qu’a pu s’exprimer le vœu ardent de la Russie, ce vœu n’en a pas moins toute sa force et n’en mérite pas moins l’accueil espéré des patriotes qui l’ont formulé.

L’ancien ministre allemand des Colonies, M. Dernburg, celui-là même qui échoua si piteusement dans sa campagne de propagande teutonne aux États-Unis, s’efforce d’autre part de démontrer dans la presse berlinoise que le Japon ne peut être un allié de l’Entente, que tous ses intérêts et le souci de son avenir font de lui un adversaire de la Grande-Bretagne et des États-Unis, et que l’Allemagne n’a rien à redouter des projets qui lui sont faussement attribués. Mais sans doute cette nouvelle campagne ne paraîtra-t-elle pas très bien inspirée à l’heure même où la Russie adresse son appel aux Alliés et où l’Empereur du Japon vient de recevoir solennellement du Roi George V le bâton de maréchal de l’armée britannique.

M. Dernburg ne fait ainsi, ou que persister dans les erreurs de psychologie et de diagnostic qui l’ont si complètement égaré au-delà de l’Atlantique, ou que trahir, en affectant de la dissimuler, l’appréhension que lui cause l’éventualité de l’întervention japonaise par la voie de l’Asie. L’empereur Guillaume II avait, lui, mieux pressenti l’arrêt du destin lorsqu’en 1894, il dénonçait, sous le nom de « péril jaune, » le danger que fait courir aujourd’hui aux plans de l’Allemagne la résistance du Japon apparaissant sur les confins de la Russie envahie et dépecée par les chacals des armées germaniques. Aurait-il l’instinct et la vision qu’au « dernier quart d’heure » de la guerre, pour reprendre l’expression du général Nogi, c’est des deux peuples contre lesquels il avait successivement cherché à éveiller et provoquer les défiances de l’Europe, c’est des deux grands riverains du Pacifique, du Japon et des États-Unis, que serait dirigé et assené contre lui le coup fatal, décisif, celui dont il ne se relèverait pas ? Puisse cette vision être pour les Alliés une exhortation nouvelle à la politique qu’ils ont à suivre, une confirmation certaine qu’ils sont sur la bonne voie !


A. GERARD.