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L’arabesque on jouant s’enlace et s’entre-croise
Autour des panneaux de faïences où l’on voit
Le cortège persan et la chasse chinoise
Et la princesse turque, une rose à ses doigts,

Qui regarde, d’un air tendre et mélancolique
La fleur voluptueuse au cœur ensanglanté,
Tandis que sur le sol parmi la mosaïque
Luit un fragment de nacre en son marbre incrusté !…

Comme vous êtes chère au cœur qui vous regrette,
Douloureuse douceur de tout ce qui finit !
Et ces mots font trembler ma voix qui les répète :
Le Palais Vendramin est près des Carmini.


L’AMI


C’est ainsi que, joyeuse ou triste, tour à tour,
J’ai prêté dans ces vers ma voix à ton amour,
Et maintenant relis les pages du poème…
C’est pour loi que j’ai dit — : « Je sens, je souffre, j’aime. »
Ai-je bien reproduit la pensée et ton cœur,
En sa détresse, en son espoir, en son ardeur ?
Sont-ce bien là tes yeux, ta bouche, ton langage ?
Ai-je fidèlement offert à ton visage
Le fidèle miroir des rythmes et des mots ?
Est-ce là ton reflet, sont-ce là tes échos ?
Allons, relis encor les strophes du poème,
Et, si ma voix n’est pas ton souffle et la voix même,
Disperse aux quatre vents le feuillet déchiré,
Et si j’ai fait mentir le visage sacré
Qu’au plus humble de nous donne un instant la vie
Lorsque se montre en lui le Dieu qu’elle humilie,
Alors brise d’un geste amical et déçu
Le miroir où l’amour ne s’est pas reconnu !


HENRI DE REGNIER.