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de la hausse des produits du sol, comme ils l’ont fait depuis cent ans et même depuis cinq cents ans. L’hectare de terre labourable, qui valait en France intrinsèquement 47 francs en 1475, c’est-à-dire quarante-sept fois cinq grammes d’argent, à la fin de la guerre de Cent Ans, valait, en 1913, 1 400 francs, c’est-à-dire trente fois plus. Mais il ne se louait que dix fois plus cher, parce que le taux de l’intérêt foncier était tombé, d’une date à l’autre, de 10 pour 100 à 3 et demi pour 100.

Les propriétaires de maisons de location profiteront de même peu à peu de la plus-value que la hausse des matériaux et de la main-d’œuvre confère aux immeubles existants. Quant aux détenteurs des anciennes valeurs mobilières, la demande générale de capitaux dans l’univers, en accroissant leurs exigences, fera grossir les bénéfices et, par suite, les dividendes des actions ; tandis que, pour les obligations, cantonnées par leur contrat dans une rente invariable, c’est leur capital qui baissera pour se proportionner au taux nouveau de l’intérêt.

Ces évolutions très diverses des fortunes et des revenus privés ne s’opéreront pas en un jour ; tandis qu’ils devront porter immédiatement leur part d’un budget d’Etat que l’on peut évaluer déjà à une quinzaine de milliards. Lorsque, sur les recettes françaises qui pouvaient avant la guerre monter à 30 milliards par an, — salaires compris, — l’État, les départements et les communes en prélevaient 6, c’est-à-dire à peu près le cinquième, il n’en faudrait pas conclure que chaque citoyen abandonnât uniformément à la communauté 20 pour 100 de la somme qu’il tirait de ses revenus ou de son travail. La classe ouvrière des champs ou des villes, et généralement les familles qui ne gagnaient pas plus de 2 500 francs par an, ne payaient guère en moyenne plus de 5 pour 100 de leur budget ; encore était-ce à condition de consommer du tabac et de l’alcool.

Au contraire, la classe que l’on appelle « possédante « payait, sous diverses formes, 30 pour 100 et plus, tant sur son capital que sur ses revenus, tant sur ce qu’elle encaissait que sur ce qu’elle dépensait. Seulement elle ne s’en apercevait pas. Chaque année l’enregistrement, à lui seul, prélevait sur ses capitaux quelque 900 millions de francs, correspondant à 10 pour 100 du revenu de, la fortune française, foncière ou mobilière qui