Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/395

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prêteurs et acquis 2 000 francs de rentes, revendait le bateau 100 000 francs en 1917.

Pour gagner de grosses sommes dans l’industrie, le commerce ou même l’agriculture, il fallait opérer sur de gros chiffres, c’est-à-dire posséder des capitaux ou des biens préexistants ; d’où il ressort que la nouvelle richesse a été surtout annexée à une richesse antérieure et l’a multipliée ;… à la condition, bien entendu, que son détenteur n’ait pas perdu, par suite de la guerre aussi, une partie de sa fortune ancienne égale ou supérieure à la nouvelle fortune que la guerre lui procurait.

Ancienne ou nouvelle, la fortune s’exprime aujourd’hui en chiffres qui, depuis quatre ans, ont changé de valeur. Jamais dans le passé une révolution aussi brusque ne s’était opérée dans les prix ; jamais une baisse aussi rapide ne s’était vue dans le pouvoir d’achat de la monnaie. Aussi bien, dans la majeure partie de l’Europe, n’y a-t-il plus de « monnaie, » j’entends de monnaie-marchandise, consistant en rondelles de métal précieux, ayant un poids correspondant à leur prix dans le libre commerce du monde. La monnaie est présentement remplacée par le « crédit » national, que les Banques d’Etat se chargent de découper en carrés de papier avalisés de leur signature.

Et comme l’émission de cette monnaie d’opinion et de confiance atteint chez nous un total presque cinq fois supérieur à celui de la monnaie-marchande de 1913, l’on parait croire que cette abondance du papier diminue son pouvoir d’achat. Cependant la hausse des prix n’est pas du tout imputable à une inflation du papier. S’il nous tombait du ciel demain trente milliards d’or, les prix ne baisseraient pas à l’intérieur du pays et, dans les paiements internationaux, il est certain que cela ne rétablirait pas le change au pair. L’histoire des prix dans le passé, leur examen dans le présent, en fournissent la preuve.

En cas d’afflux, comme au XVIe siècle après la découverte de l’Amérique, d’une masse d’or et d’argent, la vie renchérit sans que le papier-monnaie y fût pour rien ; elle tripla en quatre-vingts ans parce que le stock des métaux précieux offert fut plus grand que le stock des marchandises produites. Au XIXe siècle, où se reproduisit le même phénomène, les prix