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charbon » amateur, opérant en chambre, ou plutôt en appartement si doré que l’acheteur pénétrait en s’excusant : « Je me trompe sans doute ; on m’a dit de m’adresser ici ? — Du tout, monsieur, c’est bien ici. »

En ce dernier cas, l’intermédiaire a édifié sa nouvelle richesse aux dépens, non de l’État, mais du public. On en peut dire autant du petit épicier de la zone de guerre ou du paysan audacieux qui achète une barrique de vin, puis deux, puis dix, pour les revendre aux soldats et arrive à gagner, sur le pied de 50 francs par jour, quelque 18 000 francs par an. A l’intérieur du territoire, la même observation s’applique à des millions d’agriculteurs, qui ont vu doubler le prix de leurs bœufs ou de leurs beurres, tripler le prix de leurs porcs ou de leurs bois, quadrupler le prix de leurs vins. Les viticulteurs seuls, aux prix prestigieux où s’est payée leur dernière récolte, ont réalisé, tous frais payés, en une seule année, 2 milliards et demi de « nouvelle richesse, » c’est-à-dire de profit supplémentaire à celui des années d’avant-guerre.

Faites le calcul pour les autres denrées, en appliquant les prix pratiqués pour chacune d’elles, depuis le 1er août 1914, aux quantités livrées à la consommation, vous trouverez une « nouvelle richesse » d’une quinzaine de milliards, qui s’est répartie dans les campagnes entre une infinité de copartageants.

Le même calcul appliqué à une autre catégorie de bénéficiaires, — les ouvriers des usines travaillant plus ou moins directement pour la Défense nationale, — dont l’effectif atteint plusieurs millions, donnerait un total de 20 milliards de salaires, en plus de ce que les mêmes individus auraient gagné naguère dans le même laps de temps. Seulement, de ces 20 milliards qui eussent constitué pour chacun d’eux un pécule de quelques milliers de francs, il n’est resté qu’une portion aux mains de ceux qui l’ont reçu. Une minorité seulement s’est senti du goût pour la capitalisation.

C’est ainsi qu’une partie des bénéfices de guerre sont invisibles, parce qu’ils n’existent plus. Ils ont été détruits, ou mieux dépensés, à mesure du gain ; ils se sont transformés en jouissances et ils ont contribué à la hausse des prix,, parce que leurs détenteurs voulaient, à toute force, leur part d’un stock de marchandises déjà réduit par les circonstances, donc moins