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nous révélera la somme globale des gains réalisés et le nombre des bénéficiaires ? Nullement. L’administration des Contributions directes a été, par certains parlementaires, accusée de mollesse dans la recherche des contribuables ; il lui serait facile de se défendre en faisant ressortir, pour la première période de dix-sept mois, — 1er août 1914 au 31 décembre 1915, — la différence entre les 656 millions de francs avoués tout d’abord par 8 000 déclarants bénévoles, et les 1 442 millions finalement taxés par les agents du fisc chez 17 000 « assujettis. »

Cet écart tend à prouver : et que les Français manifestent peu de goût pour la déclaration, et que les préposés au recouvrement n’ont pas dû laisser échapper grand’chose de ce que la loi soumet à leurs prises. Pour l’année 1916, le chiffre tout d’abord déclaré de 711 millions, porté plus tard à 900 par taxations administratives, tend à grossir de mois en mois. Dépasserait-il le milliard, et semblable chiffre devrait-il s’appliquer à 1917, il ressortirait ainsi, pour les premiers trois ans et demi de guerre, un total de moins de quatre milliards de bénéfices officiellement reconnus dans quelque vingt mille caisses.

Caisses de deux sortes, fort inégales : les petites, celles des légions de mercantis du front, regratiers de boissons, de denrées ou d’objets divers, tous commerçants improvisés qui tombaient, sans fuite possible, sous l’application de la loi ; les grosses, celles des usines travaillant pour la guerre, des fournisseurs et fabricants que l’Etat connaît parce qu’il est leur client et parfois leur commanditaire ; ce sont aussi celles des armateurs ou des exploitants de mines. Sur ces quelques milliers de gagnants taxés, peut-être quinze mille se partagent-ils quinze cents millions, en des parts variant de 20 000 francs à 500 000 ; tandis qu’un millier décotes seulement se divisent deux autres milliards, avec deux millions chacune en moyenne. Seulement, ce millier de gros contribuables, ce sont, pour les dix-neuf vingtièmes, des sociétés anonymes et non des patrons, uniques propriétaires de leurs usines.

De ces derniers, dont les noms font parmi la foule un bruit triomphal de millions, croissant de bouche en bouche, il en existe fort peu. Les plus connus ne sont pas proprement de « nouveaux riches ; » il est impossible de nommer ainsi tel manufacturier à qui, depuis nombre d’années avant la guerre,