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féodaux, ou ses impôts comme sous l’ancien régime, mais son bien-être, ses jouissances privées. Et ces jouissances, multipliées sans relâche par l’émulation des producteurs, devenaient si abondantes et si bon marché que les plus humbles en avaient leur part et que le nivellement s’opérait par la satisfaction universelle des besoins accrus.

Quatre ans de guerre ont renversé cet édifice d’un labeur centenaire ; des constructeurs de systèmes se consolaient en pensant que cette guerre, qui bouleversait tant de choses, en mettrait beaucoup sous la main de l’État, qu’il en résulterait une heureuse extension du « socialisme, » c’est-à-dire de l’égalitarisme pécuniaire, le vrai, le plus goûté ; car ce n’est rien d’avoir le même vote si l’on ne mange pas le même poulet.

Or, c’est le contraire qui se produit : des inégalités brutales et douloureuses apparaissent du haut en bas de l’échelle ; et notamment dans les classes populaires, entre ceux qui souffrent et meurent au front pour cinq sous par jour et ceux qui, pour quinze francs, travaillent à l’intérieur sans danger. Régression formidable, dont personne n’est responsable. C’est que la richesse nouvelle est factice, elle ne correspond à aucune « production, » à aucune « création » de biens ou de choses utiles ; c’est un simple « déplacement. » Des Français s’enrichissent, plusieurs, il faut le dire, en sauvant l’Etat, d’autres avec moins de mérite ; mais la France, hélas ! se ruine et perd beaucoup plus que n’ont pu gagner ses citoyens.

A combien donc se monte en bloc la fortune des nouveaux riches et en quoi consiste-t-elle ? Comme la fortune ne peut être invisible, il a fallu que ces enrichis aient placé leur argent ; cependant ni la propriété foncière, urbaine ou rurale, des départements non envahis n’a augmenté en quantité, — il n’existe pas un plus grand nombre de maisons de ferme ou d’habitations bourgeoises, — ni les valeurs mobilières ne se sont accrues par des émissions nouvelles… sauf une seule catégorie : celle des rentes sur l’Etat.


II

« Nouveau riche » est celui qui a profité de la guerre ; or, il a été institué un impôt sur les « bénéfices de guerre. » Pensez-vous que la matière imposée, telle que la taxe officielle l’établit,