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qu’on l’aime ou non, qui remettra l’ordre dans le royaume. Il suffit de le constater pour voir Sévigné sur le mauvais chemin : il souhaite l’ordre dans le royaume ; et il l’attend du cardinal de Retz. Il a, tout auprès de lui, une autre source d’erreur, sa femme, telle que nous la connaissons et qu’il admire au point d’écrire que peu de femmes, en France, ont l’esprit meilleur et plus solide. Avec de si étranges illusions, où va ce bonhomme ?… Il est malheureux, et comme un patriote. Il écrit, le 8 novembre 1652 : « La perte de Casal, celle de Barcelone et celle de Perpignan font pleurer tous les bons Français… Jugez, madame, si la France ne court pas fortune et si nous ne sommes pas bien malheureux de la voir perdre pour conserver un homme de cette nature… Tant que Mazarin sera en France, nous n’y aurons que malheurs… »

Six semaines plus tard, le 19 décembre, le cardinal de Retz, au moment qu’il sortait du Louvre, est arrêté, conduit à Vincennes. Sévigné frémit de douleur. Retz arrêté : pourquoi ? la jalousie de Mazarin : « C’est là tout son crime et je puis jurer avec vérité qu’il ne se mêlait présentement d’aucune intrigue. » Sévigné ne sent pas l’imprudence et le paradoxe naïf d’imaginer un temps où Retz n’intrigue pas. Sa lettre à la duchesse de Savoie ne montre que sa colère. Mais une lettre du baron de Cize de Grésy, secrétaire de l’ambassade de Savoie, révèle un Sévigné qui ne s’en tient pas là. Pour ouvrir à son ami les portes de Vincennes, il a conçu le dessein le plus hasardeux : la cour de Savoie susciterait l’intervention de l’Espagne contre la France. Il est patriote ; mais il l’est dans le désordre de l’époque.

Six jours après l’arrestation du Cardinal, le chevalier reçut de la cour l’ordre de quitter Paris dans les vingt-quatre heures et de se retirer chez lui à la campagne. Le même jour, la reine faisait dire à Mme de Sévigné que l’ordre du roi n’était ni pour elle, ni pour sa fille et qu’elles pouvaient l’une et l’autre demeurer à Paris. Désormais, Sévigné datera ses lettres « de ma solitude » ou bien « de mon désert. » Sa solitude ou son désert, c’est, dans la province d’Anjou, la terre de Champiré, lieu triste, abandonné, un vieux château qu’il a laissé se délabrer ; mi-château et mi-forteresse, avec des tourelles, des douves, des ponts-levis : ni la forteresse n’est une sauvegarde, ni le château n’est une résidence. Il y a de la tristesse à demeurer dans