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la maison de Sévigné. Toujours est-il qu’ayant l’esprit sans cesse occupé de projets de toute sorte et ne languissant pas d’un plaisir à l’autre, il mit à profit le délai qu’il fallait aux manifestants pour vider la rue et les alentours. Mme de Sévigné le reçut fort bien. Elle était, dit-il, « honnête femme dans le fond, mais intéressée au dernier point et plus susceptible de vanité, pour toute sorte d’intrigue, sans exception, que femme que j’aie jamais connue. » L’intrigue pour laquelle il réclamait ses bons offices était, il l’avoue, « d’une nature à effaroucher d’abord une prude : » Mme de Sévigné n’avait pas cet inconvénient de pruderie. Quelques jours auparavant, il avait rencontré, dans le cabinet de Madame, en petite compagnie, Mlle de La Loupe. Il l’avait trouvée gentille : « elle était jolie, elle était belle, elle était précieuse par son air et par sa modestie. » La modestie faisant les dehors d’une effronterie principale, c’est un attrait. Le cardinal protesta de ses bonnes intentions, si pures : le commerce où il suppliait qu’on le servit ne devait être « que tout spirituel et angélique. » Mme de Sévigné fit un instant la renchérie : du moins, le cardinal s’engageait-il à ne jamais prétendre plus qu’il ne souhaitait en ce jour, au-delà des offices « que l’on peut rendre en conscience pour procurer une bonne, chaste, pure, simple et sainte amitié ? » Tout ce que voulut Mme de Sévigné, le cardinal le promit. Mme de Sévigné consentit à favoriser de si nobles sentiments. C’est un étrange métier qu’elle fait là : elle connaît le cardinal ! et cette petite de La Loupe, c’est l’amie de sa fille ! et sa fille sera de la confidence ! N’a-t-elle aucun scrupule ? Si elle en a, la politique lui fournira cet alibi que cherche et trouve une conscience ingénieuse. Le cardinal avait, avec Mme de Pommereux, une liaison que ses partisans n’approuvaient pas : la sainte amitié de Mlle de La Loupe l’en détournerait ! Mais il fallait une naïveté que n’avait pas Mme de Sévigné, pour attendre du cardinal et de Mlle de La Loupe ce genre d’amitié ; le cardinal s’en égayait sans rire et déjà se félicitait… Mais il avoue qu’il ne fut pas heureux. La belle ne lui arracha point les yeux ; même, à de certains airs, il s’aperçut que « l’on n’était pas fâchée de voir la pourpre soumise, toute armée et toute éclatante qu’elle était : » néanmoins, il trouva de la sévérité, une sévérité qui lui « lia la langue, bien qu’il l’eût assez libertine. » Il ajoute que son insuccès doit surprendre « ceux qui n’ont point connu